Le visage changeant du patient en médecine cardiovasculaire (2e partie)

13 juin 2011

Note de la rédaction :

Dans ce numéro, le bulletin The Beat vous propose la 2e partie de notre dossier « Le visage changeant du patient en médecine cardiovasculaire ». Nous examinons cette fois les tendances et l’évolution de la médecine cardiovasculaire. En premier lieu, nous nous penchons sur les défis des soins cardiovasculaires associés au vieillissement de la population canadienne et à l’augmentation du nombre des personnes aux prises avec une maladie chronique.

De même, notre article « Une révolution dans les soins cardiovasculaires » s’intéresse au visage changeant de la médecine cardiovasculaire. Après avoir fait le point sur la situation actuelle des soins cardiovasculaires, nous vous présentons maintenant le point de vue de deux cardiologues de l’Institut de cardiologie, parmi les meilleurs au monde, sur l’évolution des soins cardiaques au cours des 50 dernières années.

Dr. Lyall Higginson

La maladie chronique représente aujourd’hui l’un des problèmes de santé les plus répandus et les plus coûteux pour le Canada – et la plupart des pays développés. Les principales maladies chroniques, comme la maladie cardiovasculaire, le diabète et l’arthrite, ont des facteurs de risque similaires et sont liées à des comportements précis. L’inactivité physique, l’embonpoint, le tabagisme et la mauvaise alimentation sont des facteurs importants qui dépendent fortement des patients et qui peuvent être gérés avec les conseils et le soutien du personnel paramédical.

Les patients, les médecins, les infirmières, les physiothérapeutes et l’équipe de soins toujours plus étendue sont partie prenante d’une alliance qui investit massivement pour prendre en charge l’une des maladies chroniques les plus graves, la maladie cardiovasculaire.

Le cadre conceptuel du gouvernement de l’Ontario, qui vise à favoriser une prise de décision et une discussion informées sur la maladie chronique, explique clairement le rôle actif important que doivent jouer les patients et les familles. Cette approche implique notamment de développer un solide partenariat pour ses propres soins en participant à la planification et à l’autogestion de son état de santé.

Taxer le système

« Si tout se déroule comme prévu, la population vieillissante frappera comme un cyclone tout le système de santé, mais la situation sera particulièrement difficile dans le cas de la maladie cardiovasculaire », explique le Dr Lyall Higginson, ancien chef de la Division de cardiologie à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) et président sortant de la Société canadienne de cardiologie (SCC). « Puisque nous traitons plus efficacement la maladie aiguë, les gens vivent plus longtemps, et ils vivent avec une multiplicité de maladies chroniques dont nous devons nous occuper par des moyens inédits et différents. »

 

Jane Brownrigg

La vague imminente de patients vivant avec des maladies chroniques (voir le tableau ci-dessous) menace de surcharger les hôpitaux du Canada déjà bien hypothéqués, dit-il. « Nous devons améliorer les soins offerts pour les malades chroniques à l’extérieur des hôpitaux; par exemple, les centres d’hébergement doivent apprendre à mieux soigner certaines maladies pour que nous puissions y transférer plus rapidement les patients », poursuit-il.

Les médecins devront aussi se familiariser davantage avec le traitement des maladies chroniques et travailler en équipes pluridisciplinaires afin de soigner les patients aux prises avec une myriade de problèmes de santé. « Les personnes qui souffrent de plusieurs maladies chroniques auront besoin de formidables “quarts-arrière”, c’est-à-dire d’une personne qui sera responsable de leurs soins à tous les points de vue. Je pense que nous aurons besoin d’une nouvelle approche pédagogique pour nos médecins de famille, qui devront être très à l’aise dans ce rôle », ajoute-t-il. Il faudra aussi compter sur un engagement plus important des praticiens spécialisés, comme les infirmières de pratique avancée ou les auxiliaires médicaux, en raison du nombre colossal de patients qui feront leur entrée dans le système et dont les problèmes de santé nécessiteront une prise en charge à vie.

Continuité des soins

Les hôpitaux communautaires devront jouer un plus grand rôle en offrant d’excellents soins cardiaques, prédit Sharon Ann Kearns, gestionnaire de la mesure de la qualité et du rendement à l’Institut de cardiologie. Récemment, son équipe a formulé plusieurs ensembles de lignes directrices et de plans de soins pour les patients atteints d’un syndrome coronarien aigu et d’insuffisance cardiaque, des outils destinés à l’Institut de cardiologie, mais également à ses partenaires régionaux.

« Nous avons créé ces outils ici à l’Institut et nous les avons partagés avec tous les hôpitaux qui nous envoient des patients afin que les soins aux patients soient pris en charge de la même manière qu’ici », explique-t-elle. Les lignes directrices appliquées à la pratique comptent parmi les outils les plus importants; il s’agit d’un aide-mémoire pour le congé et d’une ressource éducative remise à chaque patient qui reçoit son congé de l’Institut de cardiologie.

En plus de rassembler les données sur les soins reçus à l’Institut de cardiologie et le début de l’administration des médicaments, l’outil axé sur les lignes directrices appliquées à la pratique fournit des renseignements aux médecins de premier recours au sujet des autres médicaments à prendre durant la convalescence ainsi qu’au patient et à sa famille à propos des changements qu’il doit apporter à son mode de vie, comme la réadaptation et l’abandon du tabac. « Nous essayons de faire en sorte que tous les intervenants aux points de transition disposent des renseignements dont ils ont besoin et comprennent de qui relèvent les différents aspects des soins », poursuit-elle.

À l’heure actuelle, l’Institut de cardiologie travaille en partenariat avec l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) pour saisir les données axées sur les lignes directrices appliquées à la pratique dans la base de données de l’ICIS afin de rendre le plan de soins disponible à l’échelle du Canada.

Aider les patients à s’aider eux-mêmes

Fournir aux patients un résumé complet et clair de leur traitement n’est qu’une étape pour les aider à devenir de meilleurs partenaires de leurs propres soins. « Je pense qu’un des progrès les plus marquants des dix à quinze dernières années est le concept d’autogestion de la santé. De plus en plus, les patients comprennent leurs multiples problèmes et prennent en charge leur diabète, leur hypertension, et ainsi de suite, explique le Dr Higginson. Nous collaborons davantage avec nos patients, nous les informons plus et nous leur demandons de participer à leurs propres soins. »

Sharon Ann Kearns

Le programme de télémonitorage à domicile est un exemple de ce partenariat; dans le cadre de ce programme, les patients sont formés pour prendre eux-mêmes plusieurs de leurs mesures et signes vitaux, comme le poids corporel, l’apport de liquide, la tension artérielle et la glycémie. Ces mesures sont ensuite transmises du domicile du patient à une infirmière de l’Institut de cardiologie qui évalue si un ajustement des médicaments ou une visite en clinique est nécessaire.

Au cours de la prochaine décennie et au-delà, l’Institut de cardiologie déploiera des programmes exhaustifs d’éducation et de réadaptation pour aider les médecins à soigner les patients atteints d’une maladie du cœur dans leurs propres communautés et pour permettre aux patients de jouer un rôle plus important dans leurs propres soins.

Selon Jane Brownrigg, directrice du programme de réadaptation cardiaque à l’Institut, un facteur qui fera des patients de meilleurs gestionnaires de leurs soins « est d’aider les gens à comprendre le pourquoi des choses : pourquoi nous faisons des recommandations spécifiques au sujet de l’activité physique, de la gestion du stress ou de l’observance thérapeutique, par exemple ».

Le séjour à l’hôpital immédiatement après une crise cardiaque ou un autre événement aigu n’est pas toujours le meilleur moment pour assimiler de tels renseignements, poursuit-elle. « Quand je travaillais comme infirmière de chevet, je me souviens clairement que de nombreux patients essayaient juste d’accuser le coup d’avoir fait une crise cardiaque, tandis qu’on les bombardait de renseignements. »

Afin d'éduquer les patients quand ils ont le temps, l’énergie et la capacité de se concentrer sur des faits nouveaux, l’Institut de cardiologie a commencé à mettre en œuvre plusieurs programmes conçus pour les aider à prendre en charge la maladie du cœur comme maladie chronique. Certains ont été développés et évalués ailleurs, d’autres ont été créés et évalués à l’Institut. Le cours intitulé « Vivre sainement avec une maladie chronique » est l’un de ces programmes. Mis au point à l’Université Stanford, à Palo Alto, en Californie, il enseigne aux patients les compétences dont ils ont besoin pour prendre en charge leur santé et se fixer des objectifs; ce cours est aussi offert aux familles et aux personnes soignantes.

Parmi les autres nouveaux programmes, notons un cours qui explique aux patients en quoi consiste l’observance thérapeutique; FrancoForme, un programme d’entraînement par téléphone qui cible les patients franco-phones présentant des facteurs de risque de maladie du cœur; et Cardio-Santé, un programme d’exercices sur Internet pour les patients qui ne participent pas à un programme de réadaptation cardiaque standard.

« Nous cherchons vraiment à améliorer l’accès à des services qui aident les patients à prendre en charge leur maladie cardiovasculaire et qui leur évitent de se déplacer pour venir nous voir lorsque c’est possible. Personne ne veut être hospitalisé s’il peut l’éviter », ajoute Mme Brownrigg.

Offrir du confort et se préparer pour l’avenir

Les soins palliatifs représentent un autre aspect de prise en charge thérapeutique qui jouera probablement un rôle beaucoup plus important dans l’avenir de la médecine cardiovasculaire. Souvent confondus avec les soins de fin de vie, les soins palliatifs sont tous les types de soins qui assurent le confort et le soulagement des symptômes à un patient durant sa maladie. Dans le cas des patients atteints d’une maladie du cœur chronique, cela désigne le reste de leur vie.

« Auparavant, les patients atteints d’une maladie du cœur aiguë étaient susceptibles de mourir rapidement, de sorte que personne ne se souciait des soins palliatifs en cas de maladies du cœur. Maintenant, les soins sont meilleurs et les patients vivent plus longtemps, et nous devons leur offrir des mesures de confort », explique Mme Kearns.

Au cours des dernières années, l’Institut de cardiologie a commencé à travailler avec l’équipe de soins palliatifs de l’Université d’Ottawa, dit-elle, en particulier sur les soins à offrir aux patients atteints d’hypertension pulmonaire et d’insuffisance cardiaque en stade terminal.

Toutes ces initiatives et bien d’autres encore seront nécessaires pour aider le système de santé à prendre en charge les patients en médecine cardiovasculaire.

« Au fur et à mesure que les patients qui survivent à une crise cardiaque vieilliront, nous aurons de plus en plus de cas d’insuffisance cardiaque chronique. La prise en charge continue du diabète et de la coronaropathie représentera aussi un défi énorme. De plus, l’obésité est un problème majeur au Canada, et nous n’avons aucune solution magique dans ce domaine, ajoute le Dr Higginson. Nous devons continuer à innover afin de pouvoir assumer le fardeau sans cesse croissant de la maladie », conclut-il.