Une révolution dans les soins cardiovasculaires

13 juin 2011

Depuis un demi-siècle, les progrès réalisés en matière de soins cardiaques peuvent se résumer en une donnée statistique : à la fin des années 1960, la mortalité des patients hospitalisés à la suite d’une crise cardiaque dépassait les 40 p. 100. De nos jours, à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, ce taux est inférieur à 4 p. 100.

Ces avancées ont en outre amélioré le taux de survie des patients atteints de toutes les formes de trouble cardiaque ou de cardiopathie, y compris les valvulopathies, les arythmies et les malformations congénitales. Depuis l’arrivée du Dr Beanlands à l’Institut de cardiologie comme fondateur et premier chef de la Division de cardiologie, il y a quelque 40 ans, les options en matière de soins cardiovasculaires se sont multipliées de façon spectaculaire.

« Lorsque j’ai commencé à pratiquer la mé-decine en 1952, les stimulateurs cardiaques n’existaient pas encore. Les seuls médicaments dont nous disposions étaient la morphine et les dérivés digitaliques, se remémore le Dr Beanlands. Les pontages ne faisaient pas partie des actes chirurgicaux et les coronarographies ne se pratiquaient pas non plus. Les patients victimes d’une crise cardiaque passaient six semaines à l’hôpital pour se reposer, sans aucune forme de réadaptation. Selon moi, les soins cardiaques correspondent au secteur de médecine le plus excitant en matière d’avancées réalisées. »

Ces progrès vont de pair avec les découvertes faites dans d’autres spécialités de la médecine moderne, lesquelles ont permis d’améliorer les soins cardiaques; par exemple, la disponibilité à grande échelle des antibiotiques a entraîné l’éradication quasi complète de la fièvre rhumatismale au Canada. Cette affection constituait anciennement l’une des principales causes de valvulopathie invalidante, se sou-vient le Dr Beanlands. « On ne voit plus ce genre de cas aujourd’hui, alors qu’à l’époque, on en recevait un par semaine ».

L’avènement de la médecine préventive

L’avènement de la médecine cardiaque pré-ventive a apporté aux médecins de nouveaux outils pour lutter contre la maladie du cœur, parmi lesquels plusieurs médicaments et l’adoption de changements au mode de vie. « Aujourd’hui, un patient victime d’une crise cardiaque repart chez lui avec 5 nouveaux médicaments qui n’existaient pas il y a 50 ans », explique le Dr Christopher Glover, un cardio-logue interventionniste entré au service de l’Institut de cardiologie en 1997.

Le programme de résidence du Dr Christopher Glover a coïncidé avec l’arrivée des soins cardiaques préventifs, qui, se rappelle-t-il, n’étaient pas toujours évidents à vendre aux médecins en poste à l’époque. « Je me souviens d’avoir travaillé avec des cardiologues très expérimentés lorsque j’étais étudiant en médecine et franchement, contrairement aux résidents, ils n’étaient pas particulièrement convaincus du rôle des facteurs liés au mode de vie sur la santé cardiaque, comme l’exercice ou une saine alimentation ».

De nos jours, la prévention – tant primaire que secondaire – joue un rôle majeur dans les soins cliniques. « Je dis toujours à mes patients que si tout le monde marchait de 30 à 60 minutes par jour, mangeait des fruits et légumes en quantité, évitait les aliments gras, surveillait et maîtrisait sa tension artérielle, traitait son hypercholestérolémie et ne fumait pas, les cardiologues comme moi auraient deux fois moins de travail », commente-t-il.

Ces conseils sont valables pour tous, insiste le Dr Glover, notamment pour les patients qui présentent des antécédents familiaux importants de maladie du cœur, lesquels tendent à se montrer plus fatalistes. « Il est vrai que nous ne comprenons pas entièrement le rôle des facteurs génétiques, mais le mode de vie compte de toute façon. Chez les patients qui présentent un risque génétique élevé, le fait de ne pas fumer, de faire attention à leur poids et d’être actif physiquement ne les protègera pas totalement contre la maladie du cœur, mais retardera peut-être son apparition de 10 ou 20 ans », souligne-t-il.

Empêcher la survenue d’une crise cardiaque

Bien que les facteurs génétiques représentent environ la moitié du risque de maladie du cœur d’une personne, les recherches en génétique cardiovasculaire devront arriver à cerner davantage le risque individuel d’un patient, précise le Dr Glover. « Nous ne savons toujours très bien pourquoi certaines personnes souffrent d’une maladie du cœur et d’autres pas. Un très grand nombre de personnes à qui j’ai fait passer une angiographie “auraient dû” présenter une maladie coronarienne parce qu’ils cumulaient les facteurs de risque, et pourtant il n’en était rien. Inversement, j’ai vu de nombreux patients qui avait un mode de vie très sain – pour ceux-là, on se dit “comment se fait-il que ce patient présente une coronaropathie : il n’a aucun ou très peu de facteurs de risque?” ».

« D’après moi, poursuit-il, il nous manque un facteur; un élément que nous ne comprenons pas encore, comme un certain type d’interaction entre les gènes et le mode de vie ».

Mis à part le repérage des patients qui courent un risque d’athérosclérose potentiellement mortelle, la recherche en génétique devrait pouvoir nous apporter l’élément manquant, celui qui nous permettra d’arriver à com-prendre ce qui cause la rupture d’une plaque artérielle – l’origine des crises cardiaques, un point sur lequel les deux médecins s’entendent.

La rupture d’une plaque à l’origine de l’obstruction soudaine d’une artère n’est pas forcément liée à sa gravité; le fait que certaines plaques se rompent et d’autres pas demeure un mystère, indique le Dr Beanlands.

Le Dr Donald S. Beanlands est entré à l’Institut de cardiologie en 1975 à titre de fondateur et premier chef de la Division de cardiologie. Jusqu’à son départ à la retraite en 2008, il a largement contribué à hisser l’Institut de cardiologie au rang de centre de soins cardiovasculaires et de formation de tout premier plan. En 2006, l’International Academy of Cardiovascular Sciences lui a décerné le prix « Lifetime Achievement in Cardiovascular Sciences ».
En 1997, le Dr Christopher Glover s’est joint à l’équipe de l’Institut de cardiologie à titre de cardiologue interventionniste (spécialiste qui réalise certaines interventions chirurgicales). Il est en outre directeur du programme de résidence en cardiologie depuis 2005. Ses domaines de recherche actuels portent entre autres sur l’utilisation potentielle des cellules souches pour régénérer les tissus cardiaques lésés à la suite d’une crise cardiaque.

 

« Dans un avenir proche, l’étape la plus importante à réaliser pour réduire davantage la mortalité associée à la maladie cardiovasculaire sera de trouver une façon d’empêcher la survenue des crises cardiaques – en arrivant à prévenir la rupture des plaques », explique le Dr Glover.

« Comme cardiologues, nous voyons des personnes qui ont subi ou qui subissent une crise cardiaque. Nous tentons alors de la stopper, puis de faciliter le rétablissement et de prévenir une nouvelle crise cardiaque. La révolution thérapeutique attendue consisterait en la mise au point d’un médicament ou d’une stratégie thérapeutique nous permettant de repérer les personnes dont les plaques sont sujettes à la rupture et d’arriver à stabiliser ces dernières de façon à prévenir la survenue d’une toute première crise cardiaque », poursuit-il.

Les techniques modernes d’imagerie cardiovasculaire qui sont utilisées pour comprendre la structure et le fonctionnement du cœur, notamment la tomodensitométrie (TDM) et la tomographie par émission de positons (TEP), nous aiderons dans cette recherche. Lors d’un pontage aortocoronarien, la TEP joue déjà un rôle important, car elle nous permet de déterminer quels tissus cardiaques sont encore fonctionnels – nous pouvons ainsi les conserver, et dans certains cas, éviter la transplantation cardiaque, explique le Dr Beanlands.

Ce qui peut et ce qui pourrait être fait

La multitude d’interventions offertes dans les cliniques modernes de soins cardiovasculaires entraîne aussi certains dilemmes pour les médecins, car l’âge moyen des patients cardiaques continue d’augmenter.

Il y a 15 ans, se souvient le Dr Beanlands, « l’âgisme était encore très répandu », et nom-breux étaient ceux qui répugnaient à traiter les patients âgés. Ce n’est plus le cas dans les centres universitaires canadiens, mais la nouvelle approche thérapeutique, plus énergique, n’est pas sans danger pour les patients âgés.

« Il n’y pas d’âge limite pour subir une intervention, mais en vieillissant, la qualité de vie devient graduellement plus importante que la longévité. Techniquement, nous pouvons tout proposer – un pontage aortocoronarien, une angioplastie, l’implantation d’une valvule transcathéter (CoreValve®) – en fait la grande question à présent est de savoir s’il est pertinent de réaliser ses interventions chez tous les patients », conclut le Dr Beanlands.

« Nous devons examiner le patient globale-ment, pas seulement son cœur, convient le Dr Glover. Nous pouvons régler un problème cardiaque, mais si un patient est invalide pour d’autres raisons, cela n’améliorera pas forcément ses fonctions globales, ni sa qualité de vie en général. »

Cela dit, chez les patients âgés en bonne santé, les soins cardiovasculaires actuels peuvent limiter grandement l’effet de la maladie du cœur sur les dernières années de vie. « J’ai beaucoup de patients de 80 ou 90 ans qui ne se plaignent pas de leur cœur, mais plutôt de leurs articulations, de leur dos ou de leurs hanches. Ce que nous arrivons à faire de nos jours est assez effarant », conclut-il.