Les techniques modernes d’imagerie médicale permettent aux médecins de visualiser l’intérieur du corps dans ses moindres détails. De nos jours, les cardiologues peuvent observer le fonctionnement du cœur des patients en temps réel à l’aide de petites quantités de substances radioactives appelées « indicateurs ».
Le groupe d’imagerie par tomographie par émission de positons (TEP) de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) est en mesure de mettre au point des indicateurs expérimentaux, de mener des travaux de recherche et de réaliser des tests d’imagerie clinique. En fait, dans le cas d’un indicateur précis, le groupe a même franchi toutes les étapes menant à la production commerciale – des premières phases de la recherche à l’approbation clinique réglementaire –, et ce, de façon totalement autonome.
Les crises cardiaques peuvent endommager les tissus cardiaques et entraîner la formation de tissu cicatriciel. En injectant du fluorodéoxyglucose (FDG), l’indicateur utilisé dans la TEP, à un patient qui a subi une crise cardiaque, les médecins peuvent différencier les tissus cardiaques endommagés mais faiblement fonctionnels – qui profiteraient d’un pontage aortocoronarien ou de la pose d’une endoprothèse – des tissus cicatriciels dont le potentiel de régénération est nul. Cet examen, nommé « test de viabilité », est très utile pour orienter les soins de certains patients.
Le FDG est une molécule de sucre radiomarquée (à laquelle est attaché un atome radioactif). « Les tissus musculaires sains métabolisent le sucre, explique Linda Garrard, gestionnaire de recherche de l’équipe de recherche en imagerie par TEP cardiaque de l’ICUO. L’absence d’absorption du FDG dans une région précise du cœur signifie que les tissus musculaires sont essentiellement cicatriciels; nous savons alors que le pontage de l’artère ne sera d’aucune utilité pour le patient, parce que l’irrigation sanguine sera destinée à une partie du cœur qui n’est plus fonctionnelle. »
À la fin des années 1990, l’équipe d’imagerie par TEP a reçu une subvention pour amorcer la construction d’un centre de TEP cardiaque doté d’un cyclotron pour produire des radio-isotopes comme le FDG. Grâce à ce précieux coup de pouce, l’ICUO a rapidement joué un rôle majeur dans la recherche en radiochimie au Canada. En 2003, l’équipe a entrepris l’étude clinique PARR2, laquelle a par la suite démontré l’utilité de la TEP au FDG pour orienter le traitement des coronaropathies chez certains patients à haut risque.
En fournissant des données scientifiques justifiant la couverture de la TEP de viabilité myocardique au FDG par le régime d’assurance provinciale, les résultats de cette étude et du Registre provincial de TEP de viabilité myocardique au FDG (CADRE), dirigé par l’ICUO, ont contribué à modifier les politiques de santé en Ontario. « Lorsque la couverture du FDG a finalement été approuvée, nous avons célébré l’événement, avoue Mme Garrard. Cela faisait 12 ans que nous y travaillions et il n’est pas donné à tout le monde d’assister à tout le processus qui permet à des travaux de recherche de faire évoluer les politiques. »
L’ICUO assure également la coordination du Programme provincial d’accès spécial au FDG, lequel permet d’étendre l’utilisation du FDG à d’autres indications qui ne sont pas couvertes. Il s’agit d’évaluer l’utilisation clinique de la TEP au FDG dans le diagnostic des aortites et de la sarcoïdose cardiaque – une accumulation de cellules anormales dans le cœur pouvant entraîner des arythmies et des lésions cardiaques. Grâce à ce programme d’accès spécial et à un essai clinique financé par le ministère de la Santé, il est probable que l’imagerie au FDG sera couverte pour le diagnostic des sarcoïdoses d’ici 2 ou 3 ans.
La décision de se lancer dans la production n’est pas naturelle pour un centre médical, mais le Dr Rob Beanlands , chef de la Division de cardiologie et fondateur du Programme de TEP de l’ICUO, en explique l’intérêt à divers points de vue : « D’une part, cela améliore les soins aux patients. Le processus d’autorisation de fabrication ressemble à un processus d’agrément. Vous devez vous assurer que tout est conforme à des normes strictes; d’autre part, vous montrez que vous avez la capacité de mettre au point un indicateur expérimental et de franchir toutes les étapes menant à son utilisation clinique. D’ailleurs, l’aboutissement de cette recherche translationnelle n’a pas tardé à attirer des partenaires potentiels du milieu universitaire et de l’industrie intéressés à collaborer avec nous. »
Comme les radio-indicateurs sont considérés comme des médicaments par Santé Canada, tout établissement qui souhaite en produire en vue de leur commercialisation doit être reconnu comme un fabricant de médicaments. Sans aucune aide de partenaires de l’industrie, le groupe d’imagerie par TEP cardiaque a préparé une présentation de drogue nouvelle pour obtenir l’autorisation de commercialiser le FDG. Le groupe, qui a reçu l’avis de conformité pour la production du FluorOHmet (Fluor pour fluorodeoxyglucose, OH pour Ottawa Heart et met pour metabolism imaging) en décembre 2010, s’apprête à déposer une demande de licence d’établissement. Ce processus est très long et particulièrement exigeant.
« Ce cheminement autonome est très ambitieux pour un établissement universitaire », insiste Mme Garrard. Lorsqu’elle aura obtenu toutes les autorisations requises, l’équipe de production, dirigée par le radiochimiste Jean DaSilva, pourra produire le FDG à des fins commerciales et en vendre aux hôpitaux régionaux. Cette petite source de revenus contribuera à financer les activités du laboratoire de radiochimie, à rémunérer le personnel et à acquérir des équipements. L’ICUO est déjà un fournisseur régional fiable de FDG pour le Service d’imagerie cardiaque de l’ICUO et le Service d’oncologie de L’Hôpital d’Ottawa. Le FDG a une période radioactive d’un peu moins de 2 heures, ce qui signifie que la radioactivité de l’indicateur diminue de 50 % toutes les heures. Comme son expédition est impossible au-delà d’un rayon équivalent à deux heures de trajet, la production du FDG est nécessairement destinée au marché régional.
« Nous continuerons à mettre au point des produits utilisés en recherche, ajoute le Dr Beanlands, car cela fait partie de notre mission. Mais certains indicateurs mis au point ici avec des partenaires de l’industrie seront très certainement commercialisés un jour. Tout ceci est de bon augure pour nous, car cela nous procure des ressources additionnelles pour assurer notre fonctionnement et poursuivre nos travaux de recherche. »
Grâce à une collaboration avec un partenaire de l’industrie, DraxImage, un projet est récemment passé de l’idée à la commercialisation. Il s’agit d’un générateur portatif de rubidium destiné à l’imagerie de perfusion myocardique. Cette épreuve diagnostique permet de suivre la répartition du sang riche en oxygène dans les diverses parties du cœur. Le rubidium est un radio-isotope dont la période radioactive est extrêmement courte (moins de 90 secondes); « le temps de préparer une seringue et de se rendre jusqu’au patient pour lui en injecter le contenu, le produit n’est plus actif », explique Mme Garrard.
Le rubidium produit par le générateur conçu à l’ICUO par le physicien Robert deKemp peut être administré directement au patient pendant qu’il est allongé sur le lit du tomodensitomètre grâce à une pompe créée par l’ingénieur Ran Klein. L’appareil devrait permettre d’étendre l’accès au rubidium et à l’examen. Dans l’étude clinique Rubidium-ARMI, les chercheurs de l’ICUO ne se contentent pas de comparer la précision des images obtenues à l’aide du rubidium à celles acquises à l’aide d’un radio isotope courant produit par le cyclotron, ils prouvent également que les établissements peuvent adopter cette technologie sans difficulté.
À l’issue de leur formation initiale, les centres participants ont jugé l’emploi de ces générateurs convivial. L’équipe de TEP cardiaque espère que ses initiatives de recherche et l’investissement dans des activités commerciales stimuleront leurs projets d’innovation. « Notre objectif est de poursuivre nos efforts pour améliorer le diagnostic », conclut Mme Garrard.