[Note de la rédaction : Cet article est une mise à jour d’un article publié précédemment.]
La maladie du cœur est la principale cause de décès chez les femmes. Pourtant, elle demeure sous-diagnostiquée et ses symptômes passent souvent inaperçus. En juillet dernier, le Centre canadien de santé cardiaque pour les femmes a publié les résultats d’un sondage national indiquant que les Canadiennes ne connaissent pas les symptômes et les facteurs de risque de la maladie du cœur .
Le bulletin The Beat a rencontré la Dre Kathy Ascah pour faire le point sur les femmes et la santé cardiaque. La Dre Ascah est cardiologue à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) depuis 1986, où elle dirige en outre le Laboratoire des épreuves d’effort.
Bulletin « the Beat » : La maladie du cœur est la principale cause de décès chez les femmes, mais elle demeure sous-diagnostiquée et n’est pas toujours reconnue. Comment expliquez-vous ce phénomène?
Dre Ascah : Je crois que tant les hommes que les femmes ont une idée préconçue selon laquelle la coronaropathie ou les crises cardiaques entraînent nécessairement des douleurs intenses. Mais dans bien des cas, en particulier chez les femmes, les symptômes ressemblent davantage à un malaise – comme une pression ou une indigestion. Sans compter que l’emplacement de ces manifestations est parfois atypique.
De même, l’essoufflement est un symptôme courant. Pourtant, de nombreuses personnes n’associent pas l’essoufflement à la maladie du cœur; ils croient à tort que leurs poumons sont défaillants ou simplement qu’il est causé par leur embonpoint. Pourtant, dans certains cas, en particulier chez les diabétiques, l’essoufflement constitue le seul symptôme de la cardiopathie.
Je pense qu’il y a des lacunes en matière de sensibilisation aux symptômes de la maladie, même chez les patients atteints de coronaropathie qui ont été traités. Parfois, même ceux-là n’arrivent pas à comprendre que leurs symptômes sont d’origine cardiaque. Il est vraiment très important d’accroître la sensibilisation et de mieux éduquer la population. Lorsque ces organismes ont amorcé leurs campagnes de sensibilisation dans les années 1990, la plupart des femmes ne savaient pas quels signes rechercher –, mais ces progrès ont semble-t-il rencontré certains obstacles. En particulier, nous n’avons pas réussi à informer suffisamment les personnes qui échappent au suivi médical, surtout celles issues de l’immigration.
Chez les femmes, il existe d’autres freins au diagnostic, comme le fait que celles-ci ont tendance à minimiser leurs symptômes. Elles vivent en outre généralement plus longtemps que leur conjoint. Par conséquent, les hommes peuvent toujours compter sur leur femme pour remarquer qu’ils vont moins bien ou présentent des signes inquiétants et les encourager à consulter un médecin. Comme les femmes âgées sont souvent seules, personne ne s’aperçoit que leur autonomie diminue. Qui plus est, les femmes ont l’habitude de banaliser leurs symptômes – à 75 ou 80 ans, il est normal de ressentir de la douleur et de l’inconfort de temps à autre. Cette attitude constitue en fait un obstacle psychosocial au diagnostic.
Bulletin « the Beat » : En matière de diagnostic, y a-t-il des particularités selon le sexe des patients?
Dre Ascah : En ce qui concerne l’épreuve d’effort courante, oui. Surtout chez les femmes plutôt jeunes. Certaines variations visibles sur l’électrocardiogramme qui surviennent à la suite d’une diminution de l’apport sanguin en raison d’une ischémie peuvent être attribuables aux oestrogènes. L’examen est tout de même très utile, mais il est parfois moins précis chez les femmes – on observe davantage de faux positifs. Des examens supplémentaires sont donc parfois nécessaires pour éliminer ou confirmer un diagnostic de cardiopathie.
L’épreuve d’effort est toutefois un examen de dépistage efficace chez les femmes. Si nous en revenons aux symptômes atypiques que nous observons souvent, l’épreuve d’effort est vraiment utile par rapport aux autres examens spécialisés. Il existe un lien évident entre les symptômes atypiques et la diminution de l’apport sanguin. J’ai vu des patientes qui présentaient simplement une douleur au coude ou au poignet, ou encore au sommet du crâne. Et c’est très significatif – les mêmes douleurs reviennent au cours de l’épreuve d’effort.
[Remarque : En juin 2014, l’American Heart Association a publié un énoncé (en anglais) soulignant le fait que le diagnostic de la maladie coronarienne chez les femmes est maintenant plus précis en raison des récents travaux de recherche propres à chaque sexe. Cet énoncé a souligné l’importance de comprendre les différences cliniquement significatives entre les femmes et les hommes et incluait des recommandations à l’intention des professionnels de la santé pour le diagnostic de la maladie du cœur chez les femmes.]
Bulletin « the Beat » : Une fois la cardiopathie diagnostiquée, le traitement est-il globalement le même pour les femmes?
Dre Ascah : Il est évident que les femmes ont de plus en plus accès aux traitements effractifs au même titre que les hommes, surtout depuis que nous disposons d’endoprothèses dont la taille convient aux femmes. Anciennement, le pontage aortocoronarien donnait de moins bons résultats chez les femmes – le calibre de leurs vaisseaux sanguins est plus petit, ce qui complique l’intervention. Mais avec l’adaptation de la taille des endoprothèses et les progrès technologiques, nous avons maintenant la capacité de proposer ces traitements effractifs efficaces aux femmes. La pose d’une endoprothèse est d’ailleurs souvent préférée au pontage.
Bulletin « the Beat » : Existe-t-il des facteurs de risque de cardiopathie propres aux femmes?
Dre Ascah : Je dirais le diabète parce qu’il est un facteur de risque plus important chez les femmes. Le risque de coronaropathie est faible avant la ménopause, mais en cas de diabète, ce risque rejoint celui d’un homme du même âge. Un taux élevé de triglycérides, souvent associé à l’obésité et au diabète, est un facteur de risque généralement plus important chez les femmes que chez les hommes. Le tabagisme constitue un facteur de risque identique chez les hommes et les femmes, mais ces dernières semblent éprouver plus de difficultés à cesser de fumer.
Par ailleurs, et ce point touche à la prévention, les femmes endossent souvent un rôle de soignante – enfants, conjoint ou parents âgés – en plus d’occuper un emploi à temps plein dans bien des cas. Elles manquent parfois de temps pour sortir et faire de l’exercice, alors que c’est très important. Il m’arrive de prescrire des séances d’exercice.
Comme le risque de cardiopathie est faible avant la ménopause, les femmes ne ressentent pas le besoin d’apporter les changements requis au mode de vie pour prévenir la maladie du cœur. Il faudrait peut-être nous y prendre autrement pour les amener à consulter et à réaliser l’importance d’adopter un mode de vie sain, et ce, suffisamment tôt pour qu’elles puissent apporter ces modifications essentielles.