La prochaine fois que vous verrez un de vos orteils enfler et virer au rouge parce que vous venez de le cogner très fort, vous pourrez au moins vous dire que vous assistez à un mécanisme de défense vieux comme le monde. À l’époque où la vie sur Terre se résumait aux organismes unicellulaires, toute agression entre eux ne pouvait avoir qu’une issue : la mort. Mais en s’organisant, au fil du temps, en vastes réseaux — y compris pour former les organes et tissus complexes du corps humain — les cellules ont aussi mis au point toute une gamme de réactions biochimiques pour répliquer aux éventuelles attaques. L’inflammation, un des plus sophistiqués de ces mécanismes, survient lorsque le système immunitaire dépêche ses agents, par exemple les globules blancs, sur les lieux d’une blessure ou d’une infection pour qu’ils puissent éliminer le problème.
Aujourd’hui, des milliards d’années après les premières batailles primitives, les chercheurs ont encore beaucoup à apprendre sur l’inflammation. À tel point que la 5e Conférence internationale d’Ottawa sur la cardiologie des 30 et 31 mars derniers s’est déroulée sous le thème « Inflammation et maladies cardiométaboliques ».
« On s’est beaucoup intéressé à la façon dont l’athérosclérose se manifeste, mais ce n’est qu’au cours de la dernière décennie qu’on a compris qu’il s’agit d’une maladie inflammatoire », a dit Katey Rayner, Ph.D., chercheuse à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, qui a coprésidé la conférence avec Subash Sad, Ph.D., chercheur à l’Université d’Ottawa.
Katey Rayner et ses collègues étaient très enthousiastes à l’idée de réunir des scientifiques travaillant à la fine pointe de ce domaine pour discuter des plus récentes découvertes et de l’avenir. Les participants à la conférence ont pu explorer les subtilités moléculaires de la maladie du cœur avec des conférenciers du Canada, des États-Unis et de l’Europe dont les idées ont généré de nombreuses discussions animées.
La science fondamentale en quête de nouveaux traitements
« Une meilleure compréhension du phénomène pourrait mener à la création d’une nouvelle catégorie de traitements », a dit Nicholas Leeper, M.D., professeur agrégé de chirurgie au Medical Center de l’Université de Stanford, en Californie, en parlant des conséquences d’une mutation génétique qui serait étroitement associée à diverses formes de maladie du cœur. Cette mutation jouerait un rôle déterminant dans l’efferocytose, une série de signaux chimiques qui indiquent la présence de cellules mortes ou mourantes dont les phagocytes — en quelque sorte les « éboueurs » du corps — doivent disposer.
Selon l’hypothèse du Dr Leeper, la mutation compromettrait l’efficacité de ce « nettoyage », ce qui expliquerait pourquoi les cellules mortes s’accumulent sur la paroi interne des vaisseaux sanguins pour former des plaques qui peuvent entraîner le rétrécissement des artères, voire la crise cardiaque. Des médicaments qui cibleraient le gène rebelle, pense le chercheur, pourraient rétablir le fonctionnement de l’efferocytose et, ce faisant, réduire la taille des plaques ou même prévenir leur apparition.
Katey Rayner est revenue sur ce concept en rendant compte de ses propres recherches. Les plaques, a-t-elle expliqué, contiennent à la fois des cellules mortes « de mort naturelle » et d’autres, tuées prématurément par l’inflammation. Ses collègues et elle s’intéressent à des protéines qui, en déclenchant une cascade inflammatoire, provoquent la nécroptose, forme beaucoup plus virulente de mort cellulaire.
La chercheuse a noté qu’une personne qui présente des plaques ici et là peut tout de même avoir un bon état de santé, mais que ces plaques sont beaucoup plus dangereuses si elles sont le fruit de l’inflammation et de la nécroptose. Selon elle, les médicaments contre la plaque dont on dispose actuellement et qui ciblent les lipides (molécules de gras) ne s’attaquent pas aux causes sous-jacentes de l’inflammation, qu’on essaie encore de comprendre.
« Une approche unique axée sur la réduction des lipides ou de la tension artérielle ne fonctionnera pas nécessairement », a-t-elle noté.
Nouvelles techniques, nouvelles perspectives
Les prochaines avancées dans le domaine dépendront de l’amélioration de notre capacité de visualiser des processus comme la nécroptose. De nombreux conférenciers ont mentionné la tomographie par émission de positons (TEP) réalisée à l’aide d’indicateurs radioactifs, technique qui permet de voir non seulement les détails des tissus touchés, mais aussi l’activité métabolique. Cette approche, qu’on appelle « imagerie intégrée », est un puissant outil pour étudier la maladie du cœur sous tous ses angles.
« Elle permet d’évaluer plusieurs problèmes et processus biologiques en même temps tout en fournissant des pistes en matière de biologie systémique », a expliqué Ahmed Tawakol, M.D., codirecteur d’un programme d’imagerie cardiaque au Massachusetts General Hospital de Boston. « L’activité métabolique augmente proportionnellement à l’activité inflammatoire des cellules. C’est en partie pourquoi cette technique d’imagerie est utile pour étudier l’inflammation. »
En donnant aux chercheurs de l’information sur la densité des cellules dans la région touchée ainsi que sur les interactions biochimiques que ces cellules encouragent, ces images jettent un nouvel éclairage sur des questions jusque-là insolubles. Le Dr Tawakol s’intéresse tout particulièrement aux causes moins évidentes de l’athérosclérose (caractérisée par le durcissement et le rétrécissement des artères).
« Il est particulièrement intéressant de constater que d’importantes composantes des mécanismes athérosclérotiques prennent forme à l’extérieur de la paroi artérielle », a dit le chercheur en donnant l’exemple du stress. L’imagerie intégrée a montré que cet état mental libère des cellules immunitaires qui se répandent dans le système circulatoire, le cerveau et la moelle osseuse, ce qui a été associé aux facteurs de risque de maladie cardiovasculaire. Cette nouvelle capacité de suivre l’évolution du risque posé par le stress, juge le Dr Tawakol, pourrait permettre aux gens de se traiter en changeant leur mode de vie plutôt qu’en suivant des traitements médicamenteux complexes.
La conférence a aussi permis de discuter d’innovations majeures qui pourraient rendre les travaux en laboratoire encore plus pertinents pour les patients cardiaques et les médecins. Josef Penninger, scientifique principal et directeur scientifique à l’Institute of Molecular Biology de Vienne, en Autriche, a présenté quelques idées avant-gardistes en biologie moléculaire, dont des techniques pour cultiver des vaisseaux sanguins humains qu’on transplante ensuite dans des souris pour produire de meilleurs modèles d’étude.
Peter Liu, M.D., directeur scientifique et vice-président de la recherche à l’Institut, a ajouté que le recours à ces souris « humanisées » avait permis d’importantes avancées dans les recherches sur le lien entre l’inflammation et le cancer. D’après lui, on pourrait aussi s’inspirer de cet exemple pour étudier le rôle de l’inflammation en cardiologie.
Ce genre de discussions animées a permis à la conférence de se conclure de belle façon. On a notamment pu prendre connaissance de nouvelles recherches menées par des étudiants et des chercheurs en début de carrière, et écouter, lors du panel de clôture, des experts revenir sur certains détails et explorer de grandes questions comme les avenues futures de la recherche. Ce format était à l’image de la conférence elle-même — où des observations générales sur la santé humaine et les implications de la recherche pour les patients cardiaques côtoyaient des comptes rendus hautement techniques de recherches très poussées — et a mis en relief l’importance de ces rencontres en personne.
« Nous pourrions tous nous contenter de lire les études sans nous déplacer, a dit Katey Rayner, mais il est important de nous rassembler pour apprendre les uns des autres. »