Avoir une santé fragile est habituellement, dans nos esprits, le propre des personnes âgées. En vieillissant, le corps jadis vigoureux et en bonne santé s’affaiblit progressivement et se fragilise. Pour les cliniciens, un état de santé fragile pose un défi considérable en médecine périopératoire. Et pour les patients, avoir un état de santé fragile peut transformer la procédure opératoire la plus commune en une question de vie ou de mort.
La science est bien au fait que la fragilité de la santé attribuable à l’âge est liée à un taux de mortalité plus élevé, à des infections du site opératoire, à une plus longue durée d’hospitalisation, à des dépenses médicales plus élevées et à des taux de réadmission plus élevés chez les patients qui doivent subir des interventions chirurgicales majeures, mais non cardiaques. Toutefois, les données sur les patients présentant un état de santé fragile et qui doivent subir une intervention chirurgicale cardiaque sont plus rares, malgré la hausse de la prévalence.
Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa publiée dans le Journal of the American Heart Association se penche sur la prévalence de la fragilité et ses liens avec le taux de mortalité à long terme chez les patients subissant une chirurgie cardiaque. Dans cette étude, intitulée Association of Frailty and Long-Term Survival in Patients Undergoing Coronary Artery Bypass Grafting (en anglais), on analysait le cas de patients de plus de 40 ans qui avaient dû subir un pontage aortocoronarien dans le but de contourner une artère bloquée et de rétablir le flux sanguin vers le cœur. Ces patients ne subissaient que cette chirurgie et que pour cette raison. Les chercheurs ont utilisé les données administratives de l’Institut de recherche en services de santé (ICES) et des registres cliniques de CorHealth Ontario.
Un total de 40 083 patients ontariens étudiés consécutivement ayant subi un pontage aortocoronarien isolé entre 2008 et 2015 ont été inclus dans l’étude. La prévalence de la fragilité était plus élevée chez les patients qui subissaient un pontage aortocoronarien isolé (22 %), en comparaison avec ceux qui subissaient une chirurgie planifiée non cardiaque (seulement 3 %). Cela suggère que les patients qui subissent une chirurgie cardiaque appartiennent à une population plus complexe, plus à risque de vivre des complications. Un état de santé fragile est aussi associé à de faibles taux de survie à long terme, particulièrement chez les patients âgés de 40 à 74 ans. Le taux de mortalité à long terme lié à un état de santé fragile était inversement proportionnel à l’âge. Cela signifie qu’après avoir tenu en compte des autres comorbidités, un état de santé fragile aurait des impacts plus importants sur le taux de survie des plus jeunes patients.
« À notre connaissance, il s’agit de la plus grande étude de cohorte visant à comprendre les conséquences à long terme de la fragilité des patients qui subissent un pontage aortocoronarien, affirme la Dre Louise Sun, chercheuse clinicienne et anesthésiologiste à la Division d’anesthésiologie cardiaque de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa et chercheuse adjointe à l’ICES. Il est intéressant d’observer que la présence d’un diagnostic définissant un patient comme ayant un état de santé fragile soit un meilleur indicateur prévisionnel du taux de mortalité chez les patients plus jeunes ».
Selon l’étude, un état de santé fragile contribuait à de plus importantes différences dans le taux de survie des patients de 40 à 74 ans que chez les patients âgés de 85 ans ou plus. « Ce que nos recherches indiquent, c’est qu’un état de santé fragile constitue un plus grand risque de mortalité chez les plus jeunes patients et a moins d’impact chez les personnes plus âgées. »
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont utilisé les diagnostics définissant un état de santé fragile des John Hopkins Adjusted Clinical Groups (ACG) pour définir ce qui constituait un « état de santé fragile ». Cet outil exhaustif fournit un portrait multidimensionnel de l’état de santé physique d’un patient. Il définit une personne comme étant « fragile » selon dix facteurs de santé : la malnutrition, la démence, un handicap visuel, des plaies de lit, l’incontinence urinaire, la perte de poids, la pauvreté, des obstacles dans l’accès aux soins, de la difficulté à marcher et des chutes.
La Dre Sun pense que ces découvertes montrent l’importance de bien comprendre la différence entre l’âge chronologique et l’âge physiologique (mesure relative de l’âge selon divers facteurs physiologiques) au moment d’émettre un pronostic pour les patients qui doivent subir une chirurgie. Elle affirme que les résultats de cette étude indiquent que l’âge seul ne suffit pas pour prédire les résultats d’une chirurgie et que l’état de santé physiologique d’un patient importe davantage.
La Dre Sun et son équipe soulignent qu’il en reste beaucoup à étudier et qu’il faudra, dans les prochaines années, entreprendre d’autres recherches pour pouvoir améliorer les résultats des patients, surtout en ce qui concerne les patients fragiles.
« La fragilité d’un patient devrait être tenue en compte dans les modèles de stratification des risques préopératoires pour aider à faire une sélection optimale des candidats pour une chirurgie. Des programmes d’optimisation préopératoire, comme la préadaptation cardiaque, des régimes alimentaires sur mesure et des programmes de soutien psychosocial, par exemple, pourraient améliorer les résultats, surtout pour les patients plus jeunes », ajoute-t-elle.
La Dre Sun et son équipe tiennent à souligner et à honorer la mémoire du Dr Jack Tu, qui est décédé pendant la préparation de la publication de l’étude.