Le Dr Martin Green n’oubliera jamais ce jour de 1971 où, à l’école de médecine, il assistait à un cours sur l’activation électrique du cœur. C’était un domaine dont les médecins et chercheurs venaient à peine de commencer l’exploration.
« Sur les 225 étudiants présents, 224 ont dit que c’était le pire cours auquel ils avaient assisté », se souvient-il. « Mais le dernier s’est dit : "C’est vraiment cool tout ça!" »
Pendant les 40 années qui ont suivi, l’enthousiasme du Dr Green pour le domaine n’a cessé de s’amplifier. Cet intérêt l’a propulsé vers une carrière consacrée à aider le cœur à tenir un rythme régulier. L’électrophysiologie cardiaque (EC) est passée durant cette période d’un domaine naissant à une spécialité médicale en bonne et due forme.
Une nouvelle spécialité
Dans les années 70, l’EC se limitait à peu près à une connaissance de base du système de conduction électrique dans les cas d’arythmie. Comme peu d’établissements au monde cherchaient véritablement à comprendre et à traiter l’arythmie cardiaque, le Dr Green s’est retrouvé à Maastricht, aux Pays-Bas, sans doute l’endroit où l’EC est née comme spécialité.
À l’époque, peu de médicaments ou d’interventions chirurgicales permettaient de traiter efficacement les cas d’arythmie. « D’un point de vue thérapeutique, nous n’avions pas tellement de moyens à notre disposition, explique-t-il. Une bonne partie de ce que nous faisions alors n’existe plus et, même dans nos rêves les plus fous, nous n’aurions jamais imaginé faire tout ce que nous faisons maintenant. »
À son retour au Canada en 1983, il a fait de l’EC une nouvelle priorité à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa en fondant le service d’arythmie. Au début des années 1990, s’étaient joints à lui les Drs Anthony Tang, électrophysiologue, et Paul Hendry, chirurgien. Les trois hommes ont collaboré à la mise au point de nouvelles technologies qui ont transformé la façon de corriger les irrégularités cardiaques.
La principale de ces innovations est l’ablation. Cette méthode consiste à envoyer des ondes à haute fréquence avec l’extrémité d’un cathéter pour brûler les tissus causant l’arythmie. Cette innovation a littéralement transformé le domaine et grandement contribué à faire avancer le traitement d’un trouble de plus en plus fréquent. Si les nouveaux traitements permettaient à de plus en plus de patients de survivre à une crise cardiaque majeure et à d’autres formes de maladie du cœur, bon nombre de ces patients se retrouvaient par contre avec une arythmie causée par des tissus cicatriciels ou endommagés. L’ablation pouvait régler ces types d’arythmie, mais il fallait d’abord mieux connaître les principales zones du cœur chargées de garder le rythme.
La création d’un système mondial de localisation (GPS) dans les années 1990 a permis aux chercheurs de cartographier ces zones. Ce système, qui empêche les automobilistes de se perdre dans des quartiers inconnus, permet aussi aux cardiologues de cartographier l’activité électrique dans le cœur de leurs patients. Cet outil fort utile pour les patients a aussi aidé les électrophysiologues à comprendre de quelle façon les signaux électriques du cœur étaient transmis et dans quelles zones.
La miniaturisation de l’électronique a également beaucoup fait progresser l’EC. Les défibrillateurs, ces appareils qui envoient une stimulation électrique pour stabiliser les battements d’un cœur qui s’emballe, sont passés de gros instruments chirurgicaux à de petits dispositifs implantables. En 2000, l’implantation d’un stimulateur ou d’un défibrillateur cardiaque était devenue une intervention d’un jour.
Le recours au défibrillateur implantable pour régulariser le rythme cardiaque est maintenant connu sous le nom de « traitement de resynchronisation cardiaque » (TRC). Le succès du TRC a été confirmé en 2010 par la publication d’une vaste étude à long terme dirigée par le Dr Tang et George Wells, Ph.D., de l’Institut de cardiologie, soit l’Étude de resynchronisation/défibrillation dans le cas de l’insuffisance cardiaque chez les malades ambulatoires (RAFT). Cette étude a démontré que, comparativement à d’autres traitements, ces implantations réduisaient le risque de décès de 24 %, ce qui est venu changer la norme en matière de traitement.
Diffusion des connaissances et renforcement de l’expertise
Grâce à ses huit électrophysiologues à plein temps, l’Institut de cardiologie effectue plus d’un millier d’implantations par année et plus de 500 ablations.
Même si les nouvelles technologies ont sans aucun doute eu des effets considérables sur le nombre de patients traités, le Dr Green a toujours considéré que le développement de l’expertise était essentiel. C’est ce qui l’a incité à créer le Programme de perfectionnement en électrophysiologie de l’Institut de cardiologie, qui attire des étoiles montantes du domaine venues des quatre coins du monde.
« En plus de 30 ans, j’ai eu la chance de travailler avec des gens incroyables, explique-t-il. Mais j’ai aussi eu le bonheur inestimable de contribuer à la formation d’un nombre encore plus grand de personnes exceptionnelles. »
Bien qu’il n’ait jamais fait la promotion de son programme de perfectionnement, l’Institut de cardiologie reçoit des dizaines de candidatures chaque année. Le Dr Green a formé plus d’une quarantaine de collègues d’un peu partout – Afrique du Sud, Inde, Australie, Arabie saoudite, Koweït, Népal –, dont certains sont retournés propager l’avancement de l’EC dans leur pays.
« Si vous me demandez quelle a été ma plus grande réalisation, je ne vous parlerai pas de moi. Je vous parlerai plutôt de toutes ces personnes nouvellement formées qui retournent faire des choses exceptionnelles aux quatre coins de la planète », insiste-t-il.
Plus près de nous, le Dr David Birnie, directeur de la Clinique d’arythmie, soutient que le dévouement du Dr Green envers le programme de perfectionnement en électrophysiologie témoigne d’une passion qui a fait progresser l’EC à l’Institut de cardiologie de façons concrètes. Pendant toute sa carrière, le Dr Green s’est fait le champion de la collaboration et de la formation.
« Il est très respecté sur la scène internationale pour son rôle de chef de file dans ce domaine, dit le Dr Birnie. Ses compétences en enseignement sont véritablement remarquables. »
Il donne l’exemple d’une forme assez commune d’arythmie, appelée « tachycardie de réentrée par le nœud auriculo-ventriculaire », que le Dr Green a appris à traiter et dont il a enseigné le traitement à tous ses collègues. Les conclusions d’une étude menée récemment par l’Institut de cardiologie sur 800 dossiers de patients ont confirmé les bienfaits ultimes de son enseignement.
« Le taux de complications graves pour cette intervention est d’environ 1 ou 2 % à l’échelle mondiale, explique le Dr Birnie. Or, nos 800 patients n’ont eu aucune complication. Nous devons cet exploit en grande partie à la compétence du Dr Green. Il a appris comment faire et nous a transmis ses connaissances. »
Maintenant âgé de 65 ans, le Dr Green ne pratique plus d’interventions cliniques. Il continue toutefois à voir des patients et il entend bien être là pour répondre aux demandes de consultation ou de conseils. Malgré les grands progrès réalisés depuis le fameux cours ennuyeux qui a changé le cours de sa vie, il s’attend à des avancées encore bien plus grandes.
« Il y a des choses que nous faisons bien, mais nous pourrions faire encore bien mieux dans d’autres cas, dit-il. Et il y en a d’autres que nous commençons tout juste à bien faire et dans lesquelles nous sommes encore loin d’exceller. »
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