Comprendre l’hypertension

5 février 2012

Le Dr Frans Leenen est directeur de la Clinique d’hypertension et de la recherche sur l’hypertension à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO). En 2008, le Dr Lennen et un collègue chercheur, le Dr George Fodor, ont dirigé l’Enquête ontarienne sur la prévalence et le contrôle de l’hypertension, l’étude la plus approfondie sur l’hypertension au Canada publiée depuis plus de 15 ans. Des études plus récentes ont confirmé leurs résultats indiquant que même si la maîtrise de l’hypertension a fait un bond spectaculaire au Canada au cours des 20 dernières années, le taux d’hypertension n’a pas diminué et plus de 20 p. 100 de la population canadienne souffre encore d’hypertension.

Le Dr Leenen a parlé de l’incidence du sel et de l’obésité sur la tension artérielle et de la contribution de la génétique dans la recherche sur l’hypertension avec l’équipe du bulletin The Beat.

Le bulletin The Beat : Une étude récente prévoit que plus du quart des Canadiens souffriront d’hypertension d’ici 2013. Comment ce chiffre se compare-t-il aux données obtenues lors de l’étude ontarienne?

Dr Leenen : Ça correspond à nos observations. Ce qui surprend, c’est qu’il n’y a pas eu de réel changement quant à la prévalence de l’hypertension dans les 20 dernières années si l’on regarde les catégories d’âges. Mais, si l’on se penche sur la population canadienne dans son ensemble, le nombre d’hypertendus a augmenté, parce que la population vieillit et que les personnes plus âgées sont beaucoup plus susceptibles de développer une hypertension.

Ce qui étonne, c’est que le taux d’hypertension ne monte pas même si l’obésité continue d’augmenter. Plus l’indice de masse corporelle d’une personne est élevé, plus elle risque de développer une hypertension. De ce point de vue, on pourrait s’attendre à une prévalence d’hypertension beaucoup plus élevée à chaque âge; pourtant, ça ne se reflète pas dans la population globale.

Ça semble indiquer que pendant qu’on observe chez un groupe de personnes une augmentation de la tension artérielle en raison de leur poids, un autre groupe souffre moins d’hypertension que par le passé. Les chercheurs ne savent pas encore de quel groupe il s’agit ou ce qui a changé. Ce n’est toutefois pas en raison du traitement. De 60 à 70 p. 100 des Canadiens qui ont une hypertension sont parfaitement traités comparativement à seulement 20 p. 100 il y a 10 ou 20 ans. Dans ces grandes études, une personne qui est traitée est quand même considérée comme hypertendue.

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Le bulletin The Beat : Santé Canada a mentionné que la plupart des Canadiens ne savent pas quelle quantité de sel ils consomment et quelle quantité ils devraient consommer. Que doit-on savoir à ce sujet?

Dr Leenen : En général, et plus particulièrement chez les jeunes, une alimentation riche en sel témoigne d’une mauvaise alimentation. En fait, une alimentation riche en sel traduit généralement une grande consommation de repas-minute, d’aliments transformés et de mauvaises habitudes alimentaires, comme la consommation d’aliments très caloriques ou très riches en sucre telles les boissons gazeuses.

Vous pouvez mettre l’accent sur un ingrédient en particulier, comme le sel, mais en fin de compte, si un aliment est faible en sel, mais que les autres ingrédients qui le composent sont malsains, ça reste un aliment néfaste. Vous devez regarder l’ensemble en favorisant une alimentation et un mode de vie sains.

Ça nous amène à ce qui devrait, à mon avis, être la cible pour la prévention de l’hypertension : l’obésité. Chez les plus jeunes gens, ça ne fait pas une grande différence, mais plus tard, les choses commencent à changer. Entre 40 et 60 ans, seulement 12 p. 100 de la population qui a un indice de masse corporelle normal ont une hypertension. Chez les obèses, c’est plus de 40 p. 100. Chez les personnes de 60 à 80 ans, environ un tiers de celles qui ont un poids normal développent une hypertension, tandis que ce chiffre atteint 70 p. 100 chez les obèses. Il s’agit d’une hausse énorme, et ce n’est là que l’un des effets de l’embonpoint sur votre santé.

Quand une personne est obèse, il est très difficile, voire impossible, de retrouver un poids normal. Il est donc essentiel de se concentrer sur les enfants, les adolescents, pour qu’ils adoptent de bonnes habitudes alimentaires et s’habituent à faire de l’exercice tôt. Pour ce faire, il faut compter sur la participation des parents et des écoles, mais également de la communauté. Les messages de santé publique seuls ne suffisent pas. Comme pour la cigarette, les messages sur les emballages de cigarettes ne sont pas la principale raison qui explique la baisse du tabagisme. D’autres facteurs, dont les interdictions de fumer en public et la hausse du prix des cigarettes, y ont également contribué.

Aujourd’hui, dans notre société, les repas-minute et les aliments transformés sont moins chers que les aliments sains. Si nous diminuons notre consommation de repas-minute, notre consommation de sel diminuera, car les deux sont très liés. Mais se concentrer uniquement sur le sel ne suffit pas. Il vaudrait mieux mettre l’accent sur les repas-minute en soi. Ça ne devrait pas être bien vu de manger des repas-minute, comme ce n’est plus bien vu de fumer. Ça nous demande toutefois de changer notre perception.

Le bulletin The Beat : Que savons-nous sur la sensibilité au sel dans la maîtrise de l’hypertension?

Dr Leenen : Quel que soit le facteur influençant l’hypertension que l’on considère, le sel, le stress, l’alcool ou le poids, l’incidence sur votre santé est grandement déterminée par vos gènes. Certaines personnes peuvent être obèses, mais avoir une tension artérielle normale. Et il y en a d’autres qui n’ont qu’un petit surplus de poids, mais dont la tension artérielle monte. C’est la même chose quand on restreint le sel : chez certaines personnes, la tension artérielle baisse beaucoup; chez d’autres, ça ne fait aucune différence; tandis que chez celles qui ont un système de régulation hyperactif, elle peut monter! C’est physiologique. C’est une interaction des gènes et du mode de vie.

Le bulletin The Beat : Est-ce que c’est une priorité pour vos propres recherches?

Dr Leenen : À l’heure actuelle, nous examinons les gènes et les mécanismes par lesquels le sel peut augmenter la tension artérielle chez un groupe de sujets et n’avoir aucun effet chez d’autres sujets. Si nous savons précisément comment le sel influence la tension artérielle, nous pouvons mieux cibler le traitement contre ces mécanismes. Et si nous pouvons mieux identifier les personnes qui sont sensibles au sel et celles qui y sont résistantes, nous pouvons mieux les aider à gérer leurs facteurs de risque. Savoir que votre profil génétique vous prédispose à la maladie coronarienne pourrait vous inciter à faire des efforts pour rester en santé.

Pour nos études d’associations pangénomiques, Frédérique Tesson, Alexandre Stewart et moi travaillons avec un certain nombre de groupes européens de Belgique, d’Angleterre et de Suisse. Ces études exigent un grand nombre de participants, et il vaut mieux collaborer que de passer de nombreuses années à tout faire par nous-mêmes.

Si nous disposions d’un simple test génétique comme un marqueur de sensibilité au sel par rapport à la résistance au sel, ça nous aiderait beaucoup. Pour l’instant, la seule façon de savoir si la tension artérielle d’une personne est sensible au sel, c’est de réduire son apport en sel. Si après quelques semaines il n’y a aucun effet notable, ça peut être pour deux raisons. Soit la tension artérielle est résistante au sel, soit la personne n’a pas suffisamment diminué sa consommation de sel. Il faut beaucoup de temps pour en déterminer la cause.

Nous savons aussi que les personnes qui sont sensibles au sel sont plus susceptibles de réagir différemment à certains médicaments. Cela donne des cibles de traitements médicamenteux plus précises. Par exemple, si la tension artérielle d’une personne est sensible au sel, il est prouvé que cette personne réagira mieux à un diurétique. Mais si la tension artérielle d’une personne monte avec un régime faible en sel, il est probable qu’elle monte aussi avec un diurétique. Ne pas connaître les causes de l’hypertension d’une personne a des conséquences réelles. Pour en savoir davantage : Clinique d’hypertension