Nouvelles analyses : un pas de plus vers la promesse d’une médecine personnalisée

5 février 2012
Le cardiologue Derek So (gauche) et le résident Jason Roberts (droite) de l’Institut de cardiologie ont dirigé l’étude RAPID GENE qui a démontré l’efficacité clinique du tout premier test génétique au point de service. L’appareil utilisé pour l’étude RAPID GENE, illustré en bas à droite, a analysé l’échantillon buccal (prélevé sur écouvillon) de patients ayant une endoprothèse pour déterminer la pertinence d’un traitement antiplaquettaire.

En moins de 10 ans, la recherche des variants génétiques courants qui modifient le risque de maladie a changé la façon dont nous considérons le risque génétique. Dans le monde de la médecine cardiovasculaire, on a découvert 36 polymorphismes mononucléotidiques (SNP pour single-nucleotide polymorphisms) – ces minuscules modifications génétiques qui aident à différencier un génome d’un autre génome – associés à un risque accru de maladie coronarienne (voir « Quoi de neuf au sujet du risque génétique »).

D’autres variants génétiques découverts récemment sont aussi liés aux taux de cholestérol, à l’hypertension, au diabète et à d’autres facteurs de risque de maladie cardiovasculaire. Cependant, le peu d’applications cliniques découlant de ces connaissances a amené certaines personnes à s’interroger sur la valeur de telles découvertes génétiques pour améliorer les soins aux patients et sur le temps qu’il faut pour transposer ces recherches en pratique clinique.

Quoi qu’il en soit, avec deux équipes de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) qui travaillent à la validation de tests génétiques cliniques, les premières réponses à ces questions commencent à arriver.

Décisions au chevet des patients

Les délais excessivement longs consti-tuaient un obstacle important à l’utilisation du dépistage génétique en milieu clinique. Il fallait des jours pour recevoir les résultats, rendant les analyses au point de service irréalisables, voire impossibles. Pour les patients qui s’apprêtent à recevoir une endoprothèse pour dégager une artère bloquée, l’existence d’une analyse au point de service serait extrêmement bénéfique.

Le clopidogrel est un médicament que l’on prescrit très souvent aux patients qui ont une endoprothèse afin de prévenir les caillots sanguins. Pourtant, une proportion importante de la population est porteuse d’un variant génétique (CYP2C19*2) courant qui l’empêche de métaboliser correctement ce médicament. Cette proportion varie selon la race, mais touche de 25 à 40 p. 100 des gens. Quand il faut procéder à la pose d’une endoprothèse de toute urgence, cela peut avoir des conséquences dangereuses, voire mortelles pour ces patients. Il n’existe à ce jour aucune méthode de dépistage. La seule façon qu’ont les médecins de savoir si le clopidogrel peut aider à éclaircir le sang du patient, c’est de l’essayer.

Une équipe dirigée par le Dr Derek So, cardiologue à l’ICUO, cherche à changer la façon d’administrer le clopidogrel aux patients qui doivent recevoir une endoprothèse de toute urgence. Chemin faisant, leur recherche a donné lieu à deux premières. En effet, l’étude RAPID GENE a validé le tout premier test génétique au point de service, utilisé pour guider et améliorer le traitement des patients devant recevoir une endoprothèse. L’étude a aussi démontré qu’un traitement anticoagulant personnalisé fondé sur le profil génétique des patients pouvait aider à contrer la propension à former des caillots sanguins.

Selon le Dr So, des études antérieures ont montré que les résultats des patients qui ne peuvent pas métaboliser le clopidogrel étaient pires après la pose d’une endoprothèse, mais aucun essai n’avait montré jusqu’à maintenant que modifier le traitement anticoagulant en fonction des données génétiques pouvait éventuellement améliorer ces résultats.

Les chercheurs de l’Institut de cardiologie ont collaboré avec la société Spartan Biosciences, Inc. pour concevoir et valider un nouvel appareil de tests génétiques au chevet du patient pour les besoins de l’étude.

Le Dr So et ses collègues ont re-cruté 200 patients devant recevoir une endoprothèse à l’ICUO pour traiter un syndrome coronarien aigu ou une angine stable, et les ont affectés au hasard à la stratégie de génotypage rapide ou au traitement standard avec prise quotidienne de clopidogrel. Tous les patients du groupe de génotypage ont été soumis au test génétique réalisé avec l’appareil de dépistage au chevet du patient. Les porteurs de la variation génétique les rendant inaptes à métaboliser le clopidogrel se voyaient prescrire un autre médicament, le prasugrel (Effient®). Le prasugrel est un médicament plus puissant, mais il accroît le risque de saignement.

Les résultats ont confirmé la valeur du test quant aux soins offerts : aucun patient du groupe de génotypage qui était porteur du variant génétique CYP2C19*2 n’a montré une propension à former des caillots sanguins, contrairement à 30,4 p. 100 des patients du groupe de soins standards porteurs de ce même variant. Après un suivi de 30 jours, aucun événement cardiovasculaire indésirable grave n’avait été observé dans l’un ou l’autre des groupes.

« L’avantage de la personnalisation du traitement, c’est que nous profitons du meilleur des deux mondes, explique le Dr So. Nous prescrivons le clopidogrel aux personnes qui y réagissent adéquatement, et nous proposons des médicaments plus forts aux autres. En procédant ainsi dans la population générale, nous pourrions prévenir plus de problèmes de saignement tout en diminuant les coûts en offrant le bon médicament aux bonnes personnes. »

Le peu de connaissances techniques nécessaires pour effectuer le dépistage est aussi un point important. « Tous les tests génétiques nécessaires à l’étude ont été réalisés par des infirmières cliniciennes qui ont reçu une brève formation de 30 mi-nutes sur l’utilisation de l’appareil; et avec cette formation minimale, nous avons pu très rapidement identifier des variants de risque et modifier le traitement », ajoute le Dr So.

« Je pense qu’avec cette validation de concept, cette technologie pourra s’appliquer à d’autres secteurs de la cardiologie et d’autres disciplines médicales. C’est pourquoi ces résultats sont si excitants », explique-t-il.

À l’heure actuelle, l’équipe du Dr So mène une étude de suivi pour déterminer si la mesure de trois variants génétiques au lieu d’un seul peut mieux orienter le traitement antiplaquettaire. « Je pense que c’est l’avenir de la génétique cardiovasculaire : nous serons en mesure d’examiner plusieurs gènes très rapidement et de prendre des décisions en fonction de ces gènes multiples en même temps », conclut-il.

Un marqueur de risque

Le variant génétique 9p21, découvert par des chercheurs de l’Institut de cardiologie, est de loin le plus important facteur d’accroissement du risque de maladie coronarienne. Un simple examen de dépistage du variant 9p21 pourrait avoir des répercussions considérables sur la prévention de la maladie du cœur chez près d’un cinquième de la population. Alexandre Stewart (gauche), chercheur principal au Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy, et Naif Almontashiri (droite), étudiant au doctorat, travaillent maintenant à valider une analyse sanguine pour identifier les porteurs du variant 9p21.

Le dépistage des patients qui sont les plus exposés à la maladie coronarienne avant même que les symptômes apparaissent est un autre secteur de la cardiologie qui pourrait bénéficier grandement des tests génétiques rapides. Grâce aux nouvelles connaissances acquises sur plus de 35 variants génétiques qui contribuent au risque de maladie coronarienne (voir « Quoi de neuf au sujet du risque générique »), les chercheurs tentent maintenant de déterminer comment le dé-pistage de ces gènes pourrait améliorer les soins aux patients. Bien que plusieurs de ces variants par eux mêmes ne présentent qu’une faible augmentation du risque, la situation peut devenir plus grave en présence de plusieurs d’entre eux. Le risque pourrait aussi être amplifié avec certaines combinaisons de polymorphismes mononucléotidiques (SNP pour single-nucleotide polymorphisms).

Il existe toutefois un variant génétique courant qui augmente de lui-même énormément le risque de maladie coronarienne. Découvert à l’Institut de cardiologie en 2007, le 9p21 a été le premier variant du risque commun de la maladie corona-rienne. Les personnes qui ont une copie du variant 9p21 présentent un risque de maladie coronarienne accru de 15 à 20 p. 100, tandis que ce risque atteint les 30 à 40 p. 100 chez les personnes qui en ont 2 copies. Le nombre de copies permet aussi de prédire la gravité de la maladie; en effet, les personnes qui en ont 2 copies sont plus susceptibles d’avoir d’importants dépôts lipidiques à un plus jeune âge.

Dernièrement, des chercheurs de l’ICUO ont découvert un biomarqueur du variant 9p21 qui peut être détecté par une analyse sanguine. C’est une voie prometteuse pour poser des diagnostics précoces de maladie coronarienne, avant même que les symptômes apparaissent, et ce, chez près d’un cinquième de la population mondiale.

Le biomarqueur, une protéine du système immunitaire appelée « interféron alpha 21 (IFNα-21) », est présent dans le sang des personnes qui ont 2 copies du variant 9p21 à des concentrations jusqu’à 30 fois plus élevées que chez les personnes qui n’en possèdent aucune copie. Une équipe dirigée par Alexandre Stewart, chercheur principal au Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy de l’ICUO, a présenté cette découverte l’an dernier dans le cadre du Congrès canadien sur la santé cardiovasculaire, de la réunion annuelle de l’American Society for Human Genetics et des séances scientifiques de l’American Heart Association.

« C’est une découverte vraiment excitante parce qu’elle laisse croire qu’en plus d’avoir un marqueur de la maladie chez les personnes porteuses de deux copies de ce locus de susceptibilité, si nous arrivons à trouver comment bloquer cet interféron, nous pourrions trouver un nouveau traitement pour ralentir ou même arrêter la progression de la maladie coronarienne », explique M. Stewart.

La découverte lève peut-être aussi une partie du voile sur la façon dont le va-riant 9p21 augmente la probabilité de maladie coronarienne. « En stimulant cet alpha interféron, le variant 9p21 pourrait favoriser l’athérosclérose chez ces patients, notamment si leur mode de vie contribue également à la maladie du cœur », suppose M. Stewart. On a longtemps soupçonné que l’inflammation, y compris le type de réaction immunitaire favorisé par l’IFNα-21, contribuait à la maladie coronarienne.

M. Stewart et ses collègues du Centre Ruddy étaient intrigués par les nouveaux renseignements provenant de l’Université de la Californie à San Diego qui indiquaient que le variant 9p21 pouvait maîtriser plusieurs gènes situés très loin dans le génome et jouant un rôle dans la réponse de l’organisme à l’inflammation.

« Nous savons depuis des années que des régions de l’ADN peuvent avoir une influence à très grande distance en raison de la manière dont l’ADN est organisé dans la cellule », explique-t-il. Comme les brins d’ADN sont enroulés de façon très serrée à l’intérieur du noyau de la cellule, des zones du génome qui, linéairement, sont très éloignées l’une de l’autre peuvent se retrouver côte à côte une fois les brins enroulés, comme du fil sur une bobine.

L’équipe de l’ICUO s’est penchée plus attentivement sur l’expression d’un de ces gènes – IFNα-21 – chez les patients qui avaient deux copies du variant 9p21. En se servant d’un test génétique approuvé pour les besoins de la recherche en laboratoire, elle a découvert une forte corrélation entre le variant 9p21 et les taux élevés d’IFNα-21. L’équipe cherche maintenant à voir si ce test peut être adapté pour le diagnostic. « La question est : pouvons-nous développer cela en un test applicable sur le plan clinique? », explique M. Stewart.

Comme les personnes qui ont des taux élevés d’IFNα-21 sont plus susceptibles d’avoir deux copies du variant 9p21 et d’être exposées à un risque beaucoup plus élevé, elles pourraient être des cibles privilégiées pour prendre des mesures préventives précoces. Pour l’instant, seule la coronarographie permet de diagnostiquer une maladie coronarienne précoce; il s’agit d’une intervention effractive et coûteuse, pratiquée uniquement chez les patients qui présentent des symptômes de la maladie.

Les découvertes du Centre Ruddy et celles d’autres chercheurs laissent croire « qu’un test de dépistage sanguin de l’IFNα-21 serait fiable pour détecter une maladie coronarienne chez environ un cinquième de la population mondiale sans avoir à faire une angiographie. Ces personnes pourraient aussitôt être ciblées pour bénéficier d’un traitement [préventif] intensif », dit-il.

À la fin de 2011, une autre recherche a montré que le fait d’avoir un profil de risque génétique élevé ne signifie pas que la santé future de la personne est irrévocable. Une étude sur les porteurs du variant de risque 9p21, publiée dans PLoS Medicine, montrait que ces personnes pouvaient réduire considérablement leur risque de maladie du cœur en adoptant un régime alimentaire « prudent » à forte teneur en fruits et légumes. « Nous devons toujours penser que ces variants de risque interagissent avec l’environnement. Si vous modifiez votre environnement, vous influencez votre risque. Nos gènes signifient quelque chose uniquement en interaction avec l’environnement », précise le Dr Robert Roberts, président-directeur général de l’ICUO.

Quoi de neuf au sujet du risque génétique

coronarienne est maintenant de 36 grâce à 13 autres polymorphismes mononucléotidiques (SNP pour single-nucleotide polymorphisms) identifiés par l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) et ses partenaires du consortium international CARDIoGRAM. Il est probable que de grands groupes de recherche internationaux en découvriront d’autres, mais la recherche vise désormais à comprendre comment ces variants génétiques exercent leurs effets. Seuls 13 des 36 variants identifiés agissent selon des mécanismes moléculaires connus.

Quand le variant 9p21 est devenu le premier SNP associé connu, les chercheurs ont été surpris de voir qu’il semblait agir indépendamment de tous les autres facteurs de risque de la maladie coronarienne. « C’était surprenant et excitant », rapporte le Dr Robert Roberts, président directeur général de l’ICUO, « parce que ça signifiait clairement que s’il y avait un facteur de risque autre que les facteurs de risque courants, nous devions savoir de quoi il s’agissait. »

« Je pense que la plus importante conclusion à laquelle est arrivée la communauté de la recherche, c’est que nous ne savions pas ce que nous pensions savoir au sujet de ces facteurs de risque, confirme M. Stewart. Quelque chose nous avait échappé. »

L’un des facteurs négligés se révélera probablement être l’inflammation et un autre élément du système immunitaire. Même si on soupçonne qu’ils jouent un rôle, on est loin de le comprendre En cherchant à déterminer les voies cellulaires et moléculaires par lesquelles le variant génétique induit le risque, certains chercheurs commencent à aborder le problème sous différents angles. La modélisation informatique et les approches de biologie systémique pourraient aider à identifier dans le génome d’autres relations inconnues similaires à celle qui existe entre le variant 9p21 et un interféron (voir l’article principal).

« Nous utilisons toujours des modèles de risque pour identifier qui est le plus à risque de développer une maladie du cœur. Y intégrer une composante génétique est une chose à laquelle les gens s’habitueront. Ce n’est pas encore prêt pour un usage clinique, mais on espère que ce type de médecine personnalisée verra le jour », commente Julie Rutberg, conseillère en génétique à l’ICUO.

Quant à savoir à quel moment de nouveaux traitements seront disponibles, le Dr Roberts exhorte à la patience. Comme il l’a rappelé récemment à Ottawa à des professionnels de la santé cardiovasculaire, on savait depuis les années 1950 que le cholestérol était un facteur de risque de la maladie coronarienne, mais il a fallu attendre presque 40 ans pour voir apparaître la première statine pour traiter l’hypercholestérolémie. Avec la technologie d’aujourd’hui, le travail pour cibler les gènes récemment découverts se fera beaucoup plus rapidement. « Ça ne prendra pas 40 ans, mais donnez-nous quand même 10 ou 15 ans. Il s’en est écoulé moins de 5 depuis la découverte du variant 9p21 », conclut-il.