Anesthésie cardiaque : Endormir le patient n’est que le début

4 juillet 2013








Les interventions cardiaques sont le fruit d’un travail d’équipe. Qu’il s’agisse de poser une endoprothèse, d’implanter un stimulateur cardiaque ou de réaliser une opération corrective, le succès de l’intervention repose sur les différentes compétences de chaque membre de l’équipe de professionnels et de leur capacité à travailler de concert.

« Nous travaillons au sein d’une équipe pluridisciplinaire et c’est ce qui rend notre tâche aussi intéressante », explique la Dre Donna Nicholson, anesthésiste cardiaque à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO).

Peu de gens savent que le travail d’un anesthésiste est très excitant. « Leur rôle est méconnu, précise la Dre Nicholson. Nombreux sont ceux qui pensent que nous ne sommes là que pour “endormir” les patients. En fait, lorsqu’un anesthésiste endort le patient, sa tâche commence à peine. »

Médicaments et signes vitaux

« Nous surveillons les voies respiratoires du patient, l’oxygénation et la ventilation, les cathéters et les intraveineuses, l’échographie et l’administration des médicaments, poursuit-elle. Nous assurons aussi l’équilibre volémique en cas de complications. Et, bien entendu, nous maintenons le patient endormi. Nous nous assurons qu’il ne ressent pas de douleur et qu’il ne garde aucun souvenir de l’intervention. »

Une intervention chirurgicale comme un pontage aortocoronarien nécessite un travail préparatoire d’environ une heure avant que le chirurgien procède à la première incision. Le rôle de l’anesthésiste comprend notamment la prise de diverses mesures, la mise en place des cathéters et des intraveineuses qui serviront à administrer les médicaments requis et l’assistance respiratoire.

Les médicaments comprennent les produits courants utilisés pour l’anesthésie et pour prévenir la douleur – sédatifs, analgésiques, relaxants musculaires –, mais il y en a bien d’autres. Pour prévenir les infections, on administre une dose d’antibiotiques au patient, puis une deuxième dose si l’opération n’est pas terminée au bout de quatre heures. L’anesthésiste régule également la coagulation du patient. De l’héparine est utilisée pour prévenir la formation de caillots durant l’opération. Et lorsque l’appareil de circulation extracorporelle (ou « cœur-poumon artificiel ») est débranché, le patient reçoit de la protamine pour rétablir la coagulation naturelle.

L’anesthésiste s’assure que l’état du patient demeure stable durant toute l’intervention en ajustant minutieusement la posologie des différents médicaments pour maintenir la tension artérielle à l’intérieur des valeurs cibles. Comme l’explique la Dre Nicholson, « nous assurons le bon fonctionnement et la stabilité des appareils et des systèmes de l’organisme. Pendant que les cardiologues et les chirurgiens réalisent l’opération, nous maintenons le patient en vie. » L’anesthésiste surveille les signes vitaux du patient : tension artérielle, fréquence cardiaque, respiration, température, taux d’oxygène dans le sang, débit cardiaque (flux sanguin) et pression intracardiaque.

Comme leurs responsabilités sont multiples, ils comptent habituellement sur une deuxième paire d’yeux et de mains. « Les inhalothérapeutes qui ont une formation spécialisée pour travailler en salle d’opération nous aident à prendre en charge la surveillance des voies respiratoires, la ventilation du patient et la gestion des produits sanguins ainsi que la préparation et l’administration des médicaments, précise-t-elle. Ils sont véritablement notre bras droit. »

Une vision interne

L’association de diverses techniques d’imagerie, dont l’angiographie, l’échocardiographie et la tomodensitométrie, entre autres, permet aux chirurgiens et aux cardiologues de visualiser les problèmes cardiaques du patient avant de l’opérer. Mais lors de l’intervention, c’est l’anesthésiste qui se charge de leur fournir des images en temps réel du cœur et des valvules pour évaluer leur fonctionnement.

L’échocardiographie transoesophagienne (ÉTO) permet de confirmer ce que le cardiologue ou le chirurgien ont pu observer et d’évaluer visuellement le cœur. Elle sert notamment à rechercher la présence de tissu cicatriciel ou d’une fuite au niveau d’une valvule qui n’aurait pas été repérée auparavant. Ce processus permet d’éviter des situations qui pourraient avoir des répercussions sur l’issue de l’opération, mais aussi sur la convalescence du patient. Si l’anesthésiste remarque un élément nouveau ou inhabituel, il en fait part à l’équipe chirurgicale. Il effectue en outre des mesures anatomiques et calcule la fraction d’éjection pour évaluer le fonctionnement du cœur.

L’ÉTO est utilisée dans de nombreuses autres interventions. Par exemple, lors d’un pontage aortocoronarien, l’anesthésiste peut y avoir recours pour aider le chirurgien à déterminer le meilleur endroit pour fixer le greffon en évitant les régions où s’accumulent les dépôts lipidiques.

L’ÉTO est en outre un élément crucial dans l’implantation transcathéter de valvule aortique (ITVA), une technique de remplacement valvulaire non chirurgicale. Avant d’implanter la nouvelle valvule à l’aide d’un cathéter, l’anesthésiste utilise l’ÉTO pour mesurer la valvule du patient et s’assurer que la taille de l’implant valvulaire est adéquate. Une fois la nouvelle valvule en place, l’ÉTO permet à l’équipe chirurgicale de vérifier sa position et son bon fonctionnement. L’anesthésiste examine également l’aorte à la recherche de lésions. La possibilité de repérer d’éventuels problèmes et de les régler alors que le patient se trouve toujours sur la table d’opération permet de réduire de façon marquée la nécessité de réopérer le patient ou de réaliser une intervention corrective.

Des rôles spécialisés

Dans certaines interventions, l’anesthésiste joue aussi un rôle spécialisé. Par exemple, dans l’ITVA, la mise en place de la nouvelle valvule est une manœuvre particulièrement délicate. La contraction du cœur et le flux sanguin peuvent en effet déplacer la valvule. Pour mettre brièvement le cœur « au point mort », l’anesthésiste augmente la fréquence cardiaque du patient à 160 battements par minute en insérant dans le cœur d’une électrode appelée « sonde de stimulation cardiaque » à l’aide d’un cathéter. Lors de cette stimulation rapide, le cœur bat tellement vite qu’il ne se contracte plus; l’irrigation cesse, ce qui permet de positionner la nouvelle valvule avec une grande précision.

L’arrêt circulatoire en hypothermie profonde est un autre exemple. « Dans certaines interventions chirurgicales, le patient est relié à un appareil de circulation extracorporelle et on abaisse sa température corporelle jusqu’à 18 à 20 °C. L’appareil est ensuite éteint, explique la Dre Nicholson. À ce moment-là, le patient n’a plus de signes vitaux. Ce type de refroidissement protège le cerveau. » Il peut durer de 30 à 60 minutes, parfois plus longtemps selon les techniques employées.

« Pendant que les cardiologues et les chirurgiens réalisent l’opération, nous maintenons le patient en vie. »

 

– Dre Donna Nicholson Anesthésiste cardiaque, ICUO

 

« Pour cela, nous travaillons en étroite collaboration avec le perfusionniste, poursuit-elle. Nous assurons la gestion de la température corporelle, de l’équilibre métabolique et du traitement médicamenteux. Nous prenons les mesures nécessaires en cas de complications après l’arrêt circulatoire. Nous surveillons la coagulation sanguine et assurons le remplacement des plaquettes, du plasma et des globules rouges. »

Les soins périopératoires

À la fin de l’intervention, l’anesthésiste saisit plusieurs renseignements dans la base de données périopératoires. Plus de 30 000 dossiers de patients y sont archivés; ce projet de longue date de la Division d’anesthésiologie cardiaque a permis de créer l’une des plus vastes bases de données de ce type dans le monde. Les médecins de cette division puisent dans cette extraordinaire banque de données pour réaliser des études visant à améliorer les soins et les résultats des patients. En ce moment, nous menons une étude pour examiner les complications postchirurgicales.

L’anesthésiste remplit ensuite une fiche aide-mémoire pour noter de possibles préoccupations ou problèmes liés à la convalescence du patient.

« Lorsque l’équipe qui réalise l’intervention a terminé son travail, l’anesthésiste poursuit ses soins au patient – il surveille son réveil et s’assure que son état est stabilisé avant son transfert à l’Unité de soins intensifs en chirurgie cardiaque, laquelle est dirigée par notre division, précise la Dre Nicholson. Nous offrons des soins préopératoires, peropératoires et postopératoires, c’est pourquoi nous nous percevons comme des spécialistes des soins périopératoires. »

« L’ICUO est un milieu de travail exceptionnel, conclut-elle. Notre unité de soins intensifs est dirigée par des anesthésistes cardiaques qui garantissent la continuité des soins du début de l’intervention jusqu’à la récupération. Il n’existe aucun autre centre de soins cardiovasculaires comme le nôtre au Canada. »