Peu de questions de santé sont aussi médiatisées que l’hypertension, une problématique qu’on ne connaît que trop bien puisqu’on en parle aussi bien dans les bulletins de nouvelles que dans les conférences médicales. Et parce qu’on la connaît si bien, il est facile d’oublier que l’attention qu’on y accorde se limite presque essentiellement à un problème associé à un seul côté du cœur.
En fait, parler d’hypertension signifie généralement parler d’hypertension systémique, un état qui dépend de la capacité du côté gauche du cœur à pomper le sang dans tout le corps. Pendant ce temps, les artères et les veines du côté droit du cœur supervisent la circulation pulmonaire – le sang qui fait l’aller-retour aux poumons – et elles reçoivent beaucoup moins d’attention.
La tension dans les vaisseaux qui desservent les poumons ne représente qu’une fraction de celle qu’on observe ailleurs dans le corps. Les muscles du côté droit du cœur sont loin de travailler aussi fort pour maintenir ce qui représente une circulation sanguine presque passive. Mais bien que des tensions élevées soient ici moins fréquentes qu’en cas d’hypertension systémique, les effets de l’hypertension pulmonaire n’en sont pas moins graves.
« C’est vraiment une maladie des vaisseaux sanguins », explique Mme Carolyn Pugliese, infirmière de pratique avancée, responsable des patients de la Clinique d’hypertension pulmonaire de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO). « Nous la considérons comme une maladie à prolifération. »
La prolifération, dans ce cas, est une accumulation de cellules qui forment des lésions sur les parois artérielles, bloquant presque totalement la circulation du sang. En compromettant la capacité du corps à échanger l’oxygène et le gaz carbonique dans la circulation sanguine, l’hypertension pulmonaire peut causer de l’essoufflement, de la fatigue, des étourdissements, des pertes de connaissance, des douleurs à la poitrine, des battements de cœur rapides ou de l’enflure aux chevilles, aux jambes et au thorax.
On néglige souvent ce problème lors des examens de routine parce que ses symptômes peuvent avoir bien d’autres causes. L’échocardiographie, ou échographie du cœur, permet d’identifier cet état assez facilement en fournissant une évaluation de la tension artérielle du côté droit du cœur. Mme Pugliese note que cette perspective est prise en compte de plus en plus souvent, au fur et à mesure que les cliniques spécialisées apparaissaient et que les médecins apprennent à reconnaître cet état.
« Cet état est passé de maladie rare à maladie peu répandue, dit-elle. Elle n’est pas aussi courante que l’hypertension, pas aussi courante que la maladie coronarienne et pas aussi courante que la fibrillation auriculaire. »
Cette plus grande prise de conscience ouvre de nouvelles avenues en recherche, bien que Mme Pugliese note que la cause de l’hypertension pulmonaire demeure bien mal comprise. Nous savons qu’elle est associée aux éléments suivants : usage d’anoxérigènes; infection au VIH; maladies auto-immunes, comme la sclérodermie et le lupus érythémateux; et mutation du gène BMPR2. Il est possible qu’elle soit également liée à d’autres facteurs génétiques. Autre fait important, elle n’est pas nécessairement liée à des comportements spécifiques, comme l’usage du tabac, ni même au problème apparemment connexe qu’est l’hypertension systémique.
Mme Pugliese se voit souvent obligée d’expliquer les limites de ces connaissances aux patients qui demandent ce qu’ils ont bien pu faire de mal. « Ce n’est rien qu’ils ont fait, dit-elle. Ils n’auraient rien pu faire pour éviter cela. »
On néglige souvent l’hypertension pulmonaire lors des examens de routine parce que ses symptômes peuvent avoir bien d’autres causes.
Les options de traitement sont également limitées, bien qu’il existe de plus en plus de médicaments qui améliorent l’irrigation des poumons. L’intervention chirurgicale peut être une option si l’hypertension pulmonaire est causée par la présence chronique de caillots dans les artères des poumons plutôt que par une maladie des vaisseaux, et que l’obstruction des artères est suffisamment proche du cœur pour y avoir accès facilement. Malheureusement, les traitements de l’hypertension pulmonaire ne peuvent que contrôler la maladie, sans la guérir. Pour Mme Pugliese, cet écueil renforce d’autant la nécessité de se pencher sur la source de la maladie et son traitement.
Elle a appris à connaître l’hypertension systémique lors d’une affectation antérieure dans une clinique d’insuffisance cardiaque. Quant à l’hypertension artérielle pulmonaire, elle savait bien peu de choses à son sujet, mais elle a vite appris en 2007 quand elle a été approchée pour diriger le service de soins infirmiers de la nouvelle clinique créée par l’Institut de cardiologie pour cette maladie. Il existe aujourd’hui 14 cliniques du genre au Canada. L’Institut de cardiologie s’occupe d’environ 400 personnes atteintes de diverses formes d’hypertension pulmonaire, et Mme Pugliese est directement responsable du traitement de près de 115 de ces personnes.
Par ailleurs, Mme Pugliese travaille étroitement avec l’Association d’hypertension pulmonaire du Canada, un organisme de défense des droits des patients qui tient une conférence nationale tous les deux ans pour informer les participants des derniers développements dans ce domaine. En septembre, la conférence a eu lieu à Ottawa pour la première fois de son histoire, et des membres de l’Institut de cardiologie ont présenté des perspectives nouvelles à un public qui s’intéresse plus que jamais à cette maladie.
Pour Mme Pugliese, ce type d’interaction avec les patients est la caractéristique distinctive de son rôle. Elle mène ses propres recherches, examinant dans quelle mesure ce rôle est efficace et comment il pourrait être amélioré. Cet été, lors d’une conférence internationale organisée en Suède pour les infirmières spécialisées en hypertension pulmonaire, elle a présenté une affiche scientifique expliquant la façon de prendre en considération les conséquences émotionnelles et sociales de cette maladie dans le cadre d’un traitement efficace.
Sa contribution au concours d’affiches a été récompensée par le premier prix; ce succès l’a incité à adopter une approche encore plus ambitieuse pour améliorer les perspectives pour les patients. Après avoir discuté avec ses homologues d’autres cliniques au Canada et ailleurs dans le monde, elle a observé qu’elles opéraient au sein de structures administratives très variables d’un endroit à l’autre. Contrairement au modèle mondialement accepté de personnel attitré dans les cliniques classiques de traitement de l’hypertension, elle a découvert à quel point des installations d’hypertension pulmonaire comparables pouvaient différer.
Mme Pugliese prévoit donc faire une enquête auprès de différentes cliniques afin de déterminer de quelle façon ces cliniques sont dirigées et de voir ce que leur personnel a suggérer pour fonctionner différemment. Ce partage d’expériences et de pratiques exemplaires, qu’elle espère structurer en vue d’une publication formelle, pourrait préparer le terrain pour le genre de traitement normalisé qui caractérise le meilleur des soins cardiaques – menant idéalement à l’élaboration de lignes directrices formelles sur les pratiques exemplaires. ( voir encadré )
Avec ce type d’idées saisies de manière claire, les infirmières comme elle disposeront des renseignements dont elles ont besoin afin de définir une organisation capable de soutenir leurs objectifs et les besoins des patients, qui se résument aux réalités quotidiennes. « Mon travail, conclut-elle, c’est de m’assurer que les médicaments sont efficaces, que l’état des patients s’améliore, que leurs symptômes s’atténuent, qu’ils prennent du mieux et que je les préserve de l’insuffisance cardiaque. »