Grand débat sur la cigarette électronique : des experts font le point

29 janvier 2014
Grand débat sur la cigarette électronique : (à partir de la gauche) David Sweanor, Dr Andrew Pipe and Dr Jon Ebbert. Photo: Laura Jones

Depuis 2009, Santé Canada interdit la vente des systèmes électroniques d’administration de la nicotine, les fameuses « cigarettes électroniques », invoquant, entre autres raisons, le risque d’empoisonnement et de dépendance à la nicotine. Cette décision controversée divise la communauté médicale. Certains spécialistes de l’abandon du tabac l’appuient vivement, mais d’autres s’y opposent, y voyant une occasion ratée de réduire les risques pour la santé des fumeurs.

Le vendredi 24 janvier, dans le cadre de la 6e Conférence annuelle d’Ottawa sur l’abandon du tabac, l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa a tenu un débat de style Oxford sur l’interdiction des cigarettes électroniques au Canada. Le débat était animé par Andrew Pipe, M.D., éminent spécialiste de l’abandon du tabac.

Qu’est-ce qu’une cigarette électronique?
Les cigarettes électroniques sont des dispositifs en forme de cigarette qui simulent l’action de fumer. À l’intérieur, une pile chauffe un liquide contenu dans une cartouche. Ce liquide ne contient pas forcément de nicotine et sa concentration en arômes, en eau et en produits chimiques comme la glycérine et le propylène glycol varie énormément selon les fabricants et les distributeurs. On dit qu’une personne qui utilise la cigarette électronique « vapote », car elle inhale de la vapeur, et non de la fumée.
Pour d’autres renseignements sur la cigarette électronique, consultez un communiqué récent de l’Institut de cardiologie exposant des résultats publiés dans le Journal de l’Association médicale canadienne.

Professeur auxiliaire de droit à l’Université d’Ottawa, David Sweanor participe depuis 30 ans aux efforts de réglementation du tabac. Lors du débat, il a défendu les bienfaits potentiels de la cigarette électronique et s’est opposé à l’interdiction qui pèse présentement sur sa vente. Il a expliqué que de grandes initiatives de santé publique comme l’interdiction de fumer dans les lieux publics, les mises en garde illustrées sur les paquets de cigarettes, les limites imposées à la publicité et les importantes hausses de taxes sur le tabac ont fait passer de sept à cinq millions le nombre de fumeurs au Canada, ce qu’il ne considère pas comme un résultat à tout casser.

Le problème, selon lui, ce n’est pas que les fumeurs refusent d’arrêter de fumer. C’est qu’ils n’y arrivent pas. « Nous sommes très bons pour les convaincre d’arrêter, mais très mauvais pour les aider à le faire pour de bon. » Pour lui, le danger de la cigarette ordinaire se résume à deux mots : « La fumée! » La nicotine crée une dépendance, mais ce sont surtout les sous-produits de la transformation et de la combustion du tabac qui causent les problèmes de santé des fumeurs, dont les maladies du cœur et le cancer.

« Si nous pouvons amener les gens à délaisser la cigarette combustible en leur donnant des moyens beaucoup moins nocifs de consommer de la nicotine, ce problème pourrait disparaître », a affirmé le professeur, soutenant que la réduction des risques pour la santé des fumeurs invétérés doit être la préoccupation maîtresse dans le débat. Cependant, a-t-il poursuivi, si les autorités de santé publique restreignent autant l’accès à la cigarette électronique qu’aux thérapies de remplacement de la nicotine (TRN) comme le timbre, les gens ne pourront pas en profiter et ne changeront pas leurs habitudes. « Il faut réglementer au lieu d’interdire », a-t-il conclu.

Jon Ebbert , M.D., professeur de médecine à la Mayo Clinic, n’est pas d’accord. Il croit qu’on spécule sur des présupposés et que l’interdiction est justifiée en attendant que la communauté médicale dispose des données scientifiques nécessaires pour se prononcer. Il a expliqué qu’en tant que médecin, il ne recommanderait jamais à un patient un traitement dont l’efficacité n’a pas été éprouvée, comme la cigarette électronique en tant que méthode pour arrêter de fumer.

Deux essais cliniques récents, a-t-il mentionné, indiquent que la cigarette électronique ne facilite pas plus l’abandon du tabac que les TRN habituelles. De plus, sa composition chimique ainsi que sa teneur en nicotine ne sont assujetties à aucune norme ou réglementation, un fait pour le moins inquiétant.

Selon le Dr Ebbert, la recherche a aussi montré que la cigarette électronique pouvait transformer des non-fumeurs en fumeurs et que la majorité de ses utilisateurs continuait aussi de fumer des cigarettes combustibles. « Le problème de cette consommation double, c’est qu’elle nuit au processus d’abandon du tabac », a-t-il expliqué. Sans un abandon complet du tabac combustible, croit-il, la cigarette électronique perd pratiquement tous ses effets potentiellement bénéfiques. Par exemple, a-t-il poursuivi, des chercheurs ont déterminé qu’une exposition équivalant à moins d’une cigarette par jour était à la source de 80 % des risques cardiovasculaires associés au tabagisme.

« Je pense donc que l’approche canadienne est justifiée. Nous devons prendre le temps d’éprouver et de réunir toutes les données nécessaires pour prendre une décision éclairée. » Il a décrit la situation aux États-Unis comme le « Far West » de la cigarette électronique, les consommateurs américains ayant librement accès au dispositif, qui n’est à peu près pas réglementé.

Pendant la période de questions du public, des professionnels de la santé ont fait remarquer que ces produits circulaient déjà dans la communauté, malgré l’interdiction. « Je pense que vous avez tous les deux raison », a dit une infirmière praticienne qui se fait souvent poser des questions sur les cigarettes électroniques. « Les gens vont les utiliser — nous savons qu’ils le font déjà. Mais nous devons au moins essayer de réduire les risques et nous assurer de l’innocuité des produits utilisés. » Elle souhaitait aussi que les cigarettes électroniques soient assujetties aux mêmes règles que les cigarettes ordinaires, comme l’interdiction d’en vendre aux mineurs.