La maladie aortique : une évidence passée sous silence

15 octobre 2014
Kathryn McLean, coordonnatrice des soins infirmiers, et Munir Boodhwani, M.D., chirurgien cardiaque, de la Clinique de l’aorte thoracique à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa.

On parle souvent de la maladie aortique comme d’un mal silencieux, parce qu’elle ne provoque généralement pas de symptômes pour alerter le patient ou le médecin. Par contre, ses conséquences peuvent être catastrophiques, comme en cas de dissection aortique – une rupture de la paroi interne de cette artère majeure. Un diagnostic et une prise en charge rapides sont critiques, puisque le taux de mortalité peut atteindre 1 p. 100 par heure jusqu’à la réparation chirurgicale.

Le rôle vital de l’aorte, le plus gros des vaisseaux sanguins, a frappé l’imagination de Munir Boodhwani , M.D., très tôt dans sa carrière, mais le chirurgien de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) était aussi préoccupé par le fait qu’elle soit si souvent négligée comme source de problèmes de santé. « La maladie aortique est souvent considérée comme une maladie orpheline », observe-t-il. Pour lui, c’est vraiment un problème criant passé sous silence.

La Clinique de l’aorte thoracique

« Historiquement, la façon de soigner la maladie aortique est restée quelque peu floue, car tout un chacun l’abordait selon sa propre perspective », explique le Dr Boodhwani. En fait, le problème peut être découvert par un médecin de famille, un cardiologue, un chirurgien vasculaire ou un spécialiste en médecine interne, chacun l’approchant à sa façon.

Le Dr Boodhwani a donc souhaité créer un environnement où la maladie aortique occuperait le devant de la scène, afin de pouvoir être mieux comprise et mieux traitée par la communauté médicale. Après son arrivée à l’Institut de cardiologie il y a cinq ans, il a commencé à poser les bases d’une véritable Clinique de l’aorte thoracique , qui a été créée à la fin de 2010.

Cette clinique, qui comprend maintenant deux chirurgiens, trois cardiologues et une coordonnatrice des soins infirmiers, a permis d’accorder une plus grande attention aux patients dont l’aorte présente une menace pour leur santé. « Si vous la construisez, ils viendront », dit-il avec une certaine satisfaction, soulignant que les patients ont commencé à être dirigés vers la clinique immédiatement après son ouverture et ne cessent depuis. Quelque 700 de ces patients sont aujourd’hui suivis à la clinique, et 200 autres s’ajoutent chaque année.

« De nombreux cardiologues peuvent avoir suivi ces patients pendant des années, et ils veulent les voir intégrer la clinique », explique Kathryn McLean, coordonnatrice des soins infirmiers à la clinique. Et plus de patients sont traités pour ce type de maladie en particulier, plus les praticiens sont sensibilisés aux signes caractéristiques de la maladie aortique, ajoute-t-elle.

La spécificité de la maladie aortique est une dégradation du tissu qui soutient l’artère, fragilisant l’intégrité de la paroi des vaisseaux sanguins. La section fragilisée peut à son tour gonfler et accroître la fragilité de la paroi. Les portions les plus faibles se transforment ainsi en anévrismes qui vont éventuellement se rompre et provoquer des déchirures appelées « dissections aortiques ». Ces dernières peuvent avoir des conséquences catastrophiques. La valvule qui contrôle le débit sanguin dans l’artère peut être affectée de la même façon, rendant le traitement encore plus urgent. S’ils sont dépistés à temps, les patients sont amenés en chirurgie le plus vite possible afin de réparer les dommages ou de remplacer des portions de l’artère.

« Les médecins de famille sont en première ligne », explique Mme McLean. « Ce sont eux que les patients voient régulièrement. Si le médecin reçoit les résultats d’une échocardiographie ou une tomodensitométrie et que quelque chose ne va pas, il faut que ça lui parle. »

Elle souligne que la clinique organise des conférences mensuelles de façon à ce que des participants de différentes disciplines puissent s’initier aux multiples facettes des cas les plus complexes, comme lorsque le cancer et la maladie aortique sont présents en même temps.

« Nous avons reçu des patients dont l’état était très complexe, mais c’est très gratifiant de travailler avec eux, dit-elle. Ils sont véritablement reconnaissants de ce que nous faisons et ouverts à ce que nous avons appris. Et ils veulent que leur problème soit réglé. »

Premières lignes directrices canadiennes

Dernièrement, le Dr Boodhwani a coprésidé un groupe d’experts qui ont élaboré le premier énoncé de position de la Société canadienne de cardiologie sur la prise en charge de la maladie de l’aorte thoracique (MAT), énoncé qui a été publié dans le Journal canadien de cardiologie au début de 2014.

« La prise en charge exhaustive de la MAT couvre plusieurs disciplines, y compris la chirurgie cardiaque, la chirurgie vasculaire, la cardiologie, la génétique, l’imagerie et les cardiopathies congénitales de l’adulte », conclut l’énoncé du groupe d’experts. « Par conséquent, on soigne mieux ces patients dans un environnement multidisciplinaire, et des cliniques sont en train de voir le jour partout dans les grands centres de cardiologie au Canada. »

L’Institut de cardiologie est à l’avant-garde de ces centres, selon le Dr Boodhwani, qui a travaillé activement à bâtir un réseau de spécialistes des maladies aortiques à travers le pays. Il espère que ces collaborations accéléreront les travaux relatifs aux soins et au traitement de la maladie aortique.

« Ce n’est pas juste le chirurgien qui est important, fait-il valoir. C’est le cardiologue ou encore l’autre médecin qui prend en charge la tension artérielle et surveille adéquatement ce qui se passe avec l’aorte. Parfois, il faut impliquer un généticien pour voir s’il y a une cause génétique. À d’autres occasions, c’est au rhumatologue qu’on fait appel s’il y a des signes de maladie inflammatoire. »

Le tabagisme, l’hypertension et diverses maladies génétiques peuvent jouer un rôle dans la maladie aortique, qui affecte le plus gros de nos vaisseaux sanguins.

Bien que des facteurs courants comme l’usage du tabac et l’hypertension soient irrémédiablement liés à la maladie aortique, la recherche révèle des causes plus subtiles. Les maladies inflammatoires, comme les maladies rhumatismales et auto-immunes, peuvent conduire à l’anévrisme ou à la dissection aortique. Les affections des tissus conjonctifs transmises génétiquement, comme le syndrome de Marfan et le syndrome de Loeys-Dietz, jouent aussi un rôle.

Perspectives d’avenir

Pour Mme McLean, la base de données de cas de plus en plus étendue place la Clinique de l’aorte thoracique en bonne position pour explorer les relations entre ces différents éléments de la santé d’un patient et la meilleure manière de faire face à la maladie.

« Nous aimerions nous pencher sur différentes questions, comme les lignes directrices sur les pratiques exemplaires, explique-t-elle. Certaines de ces lignes directrices ne sont pas si évidentes, car il y a peu de recherche sur ce que les gens devraient faire. »

Le Dr Boodhwani ajoute que la clinique a aussi la chance de commencer à considérer la maladie aortique autrement que comme une maladie isolée.

« Nous avons la chance d’avoir une zone de rayonnement étendue, et nous sommes le seul institut du genre en ville, ajoute-t-il. Tous les patients qui ont une maladie aortique sont aiguillés ici, ce qui nous permet d’avoir une vue d’ensemble de la population. »

Ultérieurement, il aimerait faire progresser cette spécialité de la même façon que d’autres volets de la chirurgie cardiaque ont évolué au cours des dernières décennies. Cela pourrait inclure des innovations comme la réparation de la valvule aortique, pour que les patients n’aient pas à vivre avec les limitations des valvules cardiaques artificielles; ou encore la chirurgie endovasculaire, c’est-à-dire l’insertion d’un cathéter dans un gros vaisseau sanguin pour pratiquer une intervention comme l’installation d’une endoprothèse pour réparer la paroi endommagée de l’aorte. Bien que cela ait déjà été réalisé dans certains centres, il a hâte de pouvoir le faire à Ottawa.

« L’objectif ultime, dit-il, est de faire ces opérations en réduisant au minimum la mortalité et la morbidité, et selon des méthodes de moins en moins effractives. »