Toutes régions et tous âges confondus, la population canadienne consomme trop de sel. Santé Canada estime en effet qu’en moyenne, l’apport quotidien en sodium des Canadiens et Canadiennes est plus du double de ce dont leur organisme a besoin. Pour certaines personnes atteintes d’une maladie du cœur, particulièrement celles qui souffrent d’insuffisance cardiaque, d’hypertension (tension artérielle élevée) ou d’hypertension pulmonaire, un excès de sodium représente une menace immédiate pour la santé.
Apprendre à manger moins salé comporte toutefois sa part de défi. « Comme le sodium ne se voit pas, il est très difficile d’en évaluer la teneur dans les aliments : il se fond dans ce qu’on mange », explique Kathleen Turner, diététiste agréée à la Division de prévention et réadaptation cardiaque de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa.
Étant donné la nature insaisissable du sodium, il est essentiel pour les patients d’être conscients de ce qu’ils ingèrent et de disposer de stratégies efficaces et pratiques pour limiter leur consommation de sel au quotidien. « Il est très difficile de modifier son alimentation », indique Christine Struthers, infirmière de pratique avancée au Service de télésanté cardiaque de l’Institut. « Par contre, c’est une responsabilité très importante du patient dans le traitement de ces maladies. »
Une question de surcharge
Une fois ingéré, le sodium, qui fonctionne comme une éponge, entraîne la rétention d’eau dans l’organisme. Le cœur doit travailler plus fort pour gérer ce surplus d’eau dans la circulation sanguine, ce qui fait augmenter la tension artérielle. Chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque ou d’hypertension pulmonaire — dont le cœur et les vaisseaux sanguins pulmonaires sont déjà endommagés —, le système cardiovasculaire est parfois incapable de supporter cette surcharge, ce qui nécessite alors une visite à l’urgence.
Chez les personnes souffrant d’hypertension, il n’y a pas de corrélation mesurable entre la consommation d’un repas à haute teneur en sel et la montée en flèche de la tension artérielle. Il peut donc être difficile, pour le patient, de comprendre l’effet du sel sur son organisme, explique Mme Struthers.
Elle précise toutefois que les dommages à long terme sur les vaisseaux sanguins sont bien réels, et qu’une hypertension non maîtrisée constitue un facteur de risque majeur de l’insuffisance cardiaque. « Il est important pour les patients de viser le contrôle à long terme de leur tension artérielle pour ne pas que leur état s’empire à mesure qu’ils vieillissent », dit-elle.
Chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, le lien entre la consommation de sel et l’état de santé est plus évident. Comme leur cœur est déjà affaibli, l’excès d’eau dans la circulation causé par le sodium tend à s’accumuler dans les jambes et l’abdomen : un rappel visuel bien évident de l’effet de certains choix alimentaires sur leur organisme.
L’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa encourage ses patients atteints d’insuffisance cardiaque à se peser chaque jour. Ceux qui participent au programme de télémonitorage à domicile transmettent l’information par voie électronique à l’Institut. « Si je vois un lundi qu’un patient a pris trois kilos, je sais tout de suite qu’il a sûrement mangé quelque chose de très salé pendant la fin de semaine », dit Mme Struthers.
Souvent, quand les patients constatent qu’ils prennent du poids, s’essoufflent plus vite ou ont les jambes enflées après avoir mangé du salé, c’est comme si quelque chose cliquait dans leur tête, dit Mme Struthers. Ils comprennent alors l’importance d’éviter le sel.
Il faut toutefois savoir qu’on ne réagit pas tous au sel de la même façon. Certaines personnes peuvent manger une petite quantité d’aliments salés sans problème si elles font des choix pauvres en sodium le reste de la journée, explique Mme Struthers. Par contre, si quelqu’un est très sensible au sodium, une dose élevée de sel peut l’envoyer directement à l’hôpital.
« Les patients doivent trouver eux-mêmes, par essais et erreurs, ce qu’ils peuvent manger ou pas, poursuit-elle. Ce n’est pas facile. Les diététistes peuvent donner un bon coup de main et atténuer la frustration en aidant les gens à adapter leurs plats favoris à leur régime hyposodé. »
Rééduquer ses papilles
Lorsqu’elle travaille avec des gens qui essaient de modifier leur alimentation, Kathleen Turner leur recommande toujours d’être patients. « Le sel est un goût acquis, dit-elle. Les premières semaines d’un régime hyposodé peuvent être vraiment difficiles. Tout ce qu’on avait l’habitude de manger goûte un peu fade. Les gens ne sont pas habitués et sont frustrés que les aliments n’aient pas le même goût qu’avant. »
« La bonne nouvelle, c’est qu’on peut rééduquer ses papilles, poursuit-elle. Si on persiste, on finit par s’habituer à manger sans sel et ça ne nous manque plus. En fait, après un certain temps, bien des gens découvrent qu’ils n’aiment pas le sel. Lorsqu’ils mangent quelque chose de salé, le goût leur semble écrasant. »
Une des priorités de Mme Turner est d’encourager les gens qui essaient de réduire le sel dans leur alimentation de cuisiner à partir d’ingrédients non transformés. « Les plats qu’on mange au restaurant contiennent toujours plus de sodium que ceux qu’on cuisine à la maison, dit-elle. Environ 75 % du sodium qu’on ingère se cache dans les aliments transformés, y compris dans les céréales, les sauces pour pâtes alimentaires et les tomates en conserve, ce dont on n’a pas toujours conscience. C’est une des plus grandes sources de sel. Il faut non seulement mettre moins de sel dans ce qu’on prépare à la maison, mais surtout réduire le nombre d’aliments transformés qu’on consomme. »
Les diététistes de l’Institut de cardiologie encouragent les gens à lire les étiquettes des aliments et à choisir ceux qui contiennent moins de 200 milligrammes de sodium ou moins de 8 % de l’apport quotidien recommandé par portion.
L’équipe aide aussi les gens à adapter leurs recettes favorites à un régime hyposodé. Les trucs les plus courants consistent à remplacer les ingrédients très salés par des fines herbes, des épices, du vinaigre, du jus de citron, de la sauce piquante et des flocons de piments forts pour ajouter de la saveur.
Bien que la courbe d’apprentissage puisse être très prononcée au début, le jeu en vaut la chandelle, dit Mme Struthers. « C’est une façon pour les patients de prendre leur santé en main. Il existe toutes sortes de médicaments pour éliminer l’excès de liquide, mais ils ont des effets secondaires et n’améliorent pas nécessairement les chances de survie. Plus les patients se prennent en main, moins ils auront besoin de médicaments. Dans ces conditions, le traitement s’apparente beaucoup plus à un partenariat », conclut-elle.