Les données massives : un algorithme qui change la donne en santé cardiaque

14 mai 2019
Données massives et santé cardiaque : de gros changements à l’horizon
Il ne fait pas de doute que les données massives et l’intelligence artificielle aideront à écrire le prochain chapitre de l’histoire de la médecine.

Les Canadiens et Canadiennes vivent une explosion de l’information et de l’innovation amenée par d’importantes avancées dans le domaine des sciences et de la technologie des données. Maintenant qu’on peut cerner dans les données massives des tendances qui seraient normalement indétectables pour les êtres humains, il est non seulement possible, mais avisé de chercher la proverbiale aiguille dans une botte de foin. Ces nouvelles capacités informatiques ont le potentiel de révolutionner les soins de santé et d’ouvrir une voie d’avenir prometteuse pour la médecine cardiovasculaire.

En tant qu’êtres humains, nous rassemblons et analysons des données pour améliorer notre sort et nos sociétés depuis que nous nous intéressons aux rendements du bétail et des récoltes. Toutefois, à l’ère numérique, nos vies sont si imprégnées de quantités massives de données complexes que l’information elle-même est devenue la monnaie d’échange dominante dans nos sociétés. Nous comptons sur des données riches et fiables dans presque toutes les sphères de nos vies pour augmenter notre bien-être, résoudre des questions sociétales pressantes et favoriser la prospérité économique.

Autrefois la chasse gardée des gouvernements et de géants du domaine de la technologie comme Google, qui l’utilisaient pour mieux comprendre leurs clients et leurs concitoyens, l’analytique des données massives – intelligence artificielle (IA) et apprentissage machine – est de plus en plus utilisée par les chercheurs en cardiologie, les cliniciens et d’autres innovateurs en santé pour mieux soigner les patients.

« Il n’y a aucun doute que l’apprentissage machine, ainsi que les données massives et l’intelligence artificielle qui le soutiennent, peut révolutionner le secteur des soins de santé », dit Marc Lamoureux, chef de la Division de la santé numérique du Bureau des matériels médicaux de Santé Canada. 

M. Lamoureux était l’un des nombreux experts qui ont discuté des grandes tendances en technologie des données massives lors de la 7e Conférence internationale d'Ottawa sur la cardiologie : Données massives et maladies cardiovasculaires, qui s’est récemment tenue à Ottawa, en même temps que le Toronto-Ottawa Heart Summit. Dans son travail à Santé Canada, Marc Lamoureux voit déjà l’émergence de l’apprentissage machine en imagerie médicale, notamment à des fins diagnostiques.

« La détection des anomalies et la classification des images ne sont que deux des applications de l’intelligence artificielle en imagerie diagnostique, dit-il. Nous avons un pied dans la porte, mais le potentiel des données massives et de l’intelligence artificielle sur le plan des diagnostics, du dépistage, des pronostics, etc. est absolument vertigineux. »

Les données massives : quoi de neuf?

Dit simplement, les données massives sont des données d’une complexité inouïe produites en quantités astronomiques. Elles sont chaotiques et pleines de bruit, et se multiplient à l’infini depuis l’avènement de l’Internet, des réseaux sociaux et des capteurs intégrés à toutes sortes de dispositifs, comme les bracelets de santé électroniques et les téléphones intelligents.  

Ce foisonnement d’information est présent depuis un certain temps déjà. La nouveauté, c’est que les avancées technologiques sur le plan de la puissance informatique et des capacités de stockage nous ont permis de recueillir et d’analyser un nombre toujours grandissant de ces données définies par les « 5 V » : volume, valeur, véracité, vélocité et variété.

« Ce qu’il y a de nouveau et d’excitant à propos de données massives en médecine cardiovasculaire, c’est notre capacité d’utiliser l’intelligence artificielle pour exploiter la richesse des données médicales »

- Dr Peter Liu, directeur scientifique et vice-président de la recherche à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa

Le Dr Liu est le directeur scientifique de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa depuis 2012. Il a étudié la médecine, la médecine interne et la cardiologie à l’Université de Toronto et à l’Université Harvard.

« Ce qu’il y a de nouveau et d’excitant à propos de données massives en médecine cardiovasculaire, c’est notre capacité d’utiliser l’intelligence artificielle pour exploiter la richesse des données médicales », explique le Dr Peter Liu, directeur scientifique et vice-président de la recherche à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa.

« Maintenant, nous pouvons ajouter cette information aux données recueillies par les capteurs du téléphone intelligent ou du bracelet de santé électronique d’un patient pour mieux comprendre comment optimiser les soins de santé, ajoute-t-il. Il devient possible de tenir compte de tous les paramètres médicaux associés au patient et à son milieu de vie. »

Le rôle émergent des données massives et de l’intelligence artificielle en médecine cardiovasculaire

En tant que première cause de mortalité et d’invalidité dans le monde, les maladies cardiovasculaires représentent encore un lourd fardeau. De plus, ces maladies n’affectent pas tout le monde de la même façon. La vulnérabilité d’une personne à la maladie et sa réaction aux traitements dépendent d’une interaction très complexe entre ses prédispositions génétiques et certains facteurs environnementaux modifiables comme le niveau d’activité physique, l’alimentation et le tabagisme, entre autres.

Jusqu’à tout récemment, il était impossible pour les chercheurs et les cliniciens en médecine cardiovasculaire de tenir compte de toutes ces interactions pour établir un diagnostic ou un plan de traitement. À l’ère de la santé numérique et des données massives, le volume et la complexité des données disponibles sont tels qu’il est impossible, pour un être humain, de les gérer efficacement à l’aide des bases de données et outils analytiques traditionnels.

C’est ici que l’intelligence artificielle entre en scène.

« Si le but de la révolution industrielle était de décupler la puissance mécanique de l’humain par les machines, la révolution de l’intelligence artificielle vise quant à elle à décupler nos capacités cognitives », explique  Doina Precup, Ph.D., titulaire d’une chaire en intelligence artificielle CIFAR-Canada à l’Université McGill/Mila, et membre supérieur de l’American Association for Artificial Intelligence.

Bien que l’intelligence artificielle en est encore relativement à ses débuts en médecine cardiovasculaire, Doina Precup estime qu’elle peut aider des gens partout dans le monde en facilitant la détection précoce des maladies, l’établissement des pronostics, l’accès à des soins de santé de premier plan et la bonification de nos capacités cognitives.

Déjà, on voit des algorithmes d’apprentissage en profondeur arriver à des diagnostics au moins aussi valables que ceux posés par des médecins en cardiologie et d’autres domaines. Est-ce à dire que l’intelligence artificielle pourrait un jour remplacer les médecins en chair et en os?

« Absolument pas », tranche Henry Lieberman, Ph.D., chercheur au Laboratoire de recherche en informatique et intelligence artificielle du MIT (CSAIL). Même s’il reconnaît que l’intelligence artificielle peut grandement faciliter les diagnostics et le travail des médecins, et permettre aux patients de surveiller leur fonction cardiaque à l’aide de technologies portables, M. Lieberman ne croit pas qu’elle remplacera les humains un jour.

« L’intelligence artificielle est excellente pour isoler des tendances dans une masse de données, mais elle ne peut se substituer au jugement de l’être humain, dit-il. Les médecins et les praticiens de l’intelligence artificielle devront travailler en étroite collaboration pour interpréter et remettre en contexte les applications de cette technologie en médecine cardiovasculaire. »

De toute évidence, personne ne pourra exploiter seul toute la puissance et les promesses de l’intelligence artificielle en médecine cardiovasculaire – ou dans n’importe quel domaine, en fait. La traduction de volumes exponentiels de données extraordinairement complexes en applications utiles pour la pratique clinique est un défi colossal qu’il faudra relever ensemble.

« Les nouveaux outils que nous utilisons et les nouvelles données que nous produisons peuvent avoir des effets profondément bénéfiques sur la santé et la qualité des soins centrés sur le patient, dit le Dr Liu. Toutefois, c’est un but que nous ne pourrons atteindre que par la communication, la mise en commun des idées et l’entraide aux échelles locale, nationale et internationale. »

Sous la pression de la croissance explosive des données et de la technologie, les soins de santé vont changer. Pour les chercheurs et les cliniciens en médecine cardiovasculaire, il ne fait pas de doute que les données massives et l’intelligence artificielle aideront à écrire le prochain chapitre de l’histoire de la médecine, une lecture qui s’annonce fascinante.