Aider le cœur à s’autoréparer : les promesses de la médecine régénérative

13 septembre 2011
Des cellules progénitrices cardiaques (en vert) sont produites en culture à partir de tissu cardiaque de souris (en bas à gauche) au laboratoire du Dr Darryl Davis.
Lors d’un infarctus aigu du myocarde, le tissu cardiaque se nécrose rapidement dans la région qui était irriguée par l’artère obstruée. Si la plupart des patients survivent aujourd’hui à un infarctus du myocarde, les dommages subis par le cœur n’en demeurent pas moins importants. Le tissu cicatriciel qui se forme dans la région de l’infarctus au cours des semaines et des mois suivants empêche le muscle cardiaque de fonctionner normalement et perturbe la conduction des signaux électriques qui commandent l’action de pompage du cœur. Une insuffisance cardiaque et de graves arythmies peuvent en résulter.
 
L’idée d’amener le cœur à remplacer le tissu cardiaque endommagé par du tissu cardiaque fonctionnel au lieu de tissu cicatriciel n’est pas nouvelle, mais semblait tenir davantage du rêve que de la réalité jusqu’à récemment. En effet, il y a quelques années encore, on croyait que le cœur était un organe statique, c’est-à-dire qu’il perdait la capacité de fabriquer des cardiomyocytes (cellules musculaires) peu après la naissance. Les chercheurs estiment maintenant que dans un cœur adulte sain, jusqu’à 1 p. 100 des cardiomyocytes meurent naturellement et sont remplacés chaque année.


Bien que le processus inné de renouvellement cellulaire du cœur soit lent par rapport à plusieurs autres organes et systèmes physiologiques, cette découverte a soulevé un grand intérêt de la part des chercheurs qui souhaitent stimuler les mécanismes d’autoréparation du cœur en vue de restaurer ou de remplacer le tissu cardiaque endommagé. C’est ce qu’on appelle la « médecine régénérative ».

On avait fondé beaucoup d’espoir sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires – cellules indifférenciées pouvant donner naissance à tous les types cellulaires – pour la réparation cardiaque, mais certains obstacles ont refroidi l’enthousiasme initial. Il s’est notamment avéré plus difficile que prévu de contrôler leur comportement après leur introduction dans l’organisme et leur propension à la formation de tumeurs est source d’inquiétude.

Cela dit, ce ne sont pas les cellules souches embryonnaires qui interviennent directement dans la réparation du cœur, mais plutôt les progéniteurs cardiaques, qui produisent le tissu musculaire, et les progéniteurs endothéliaux, qui produisent les vaisseaux sanguins. Ces progéniteurs, ou cellules progénitrices, qui se situent à un stade plus avancé du développement cellulaire, sont déjà programmés pour réparer le cœur et les vaisseaux sanguins et ne provoquent pas de tumeurs. Les chercheurs de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) étudient maintenant les moyens d’accroître le potentiel des progéniteurs à réparer les lésions cardiaques après un infarctus du myocarde ainsi que, dans le cadre de collaborations connexes, les vaisseaux sanguins abîmés par le diabète.

Rendre les cellules plus performantes

Le Dr Darryl Davis, clinicien-chercheur à l’Institut de cardiologie (voir l’encadré), travaille avec les progéniteurs cardiaques depuis ses études postdoctorales au laboratoire du Dr Eduardo Marbán, pionner du domaine de la thérapie cellulaire, au Centre médical Cedars-Sinaï, à Los Angeles.

Les travaux du Dr Marbán ont mené au lancement d’un essai clinique de phase I actuellement en cours aux États-Unis. Dans le cadre de l’étude, un échantillon de tissu cardiaque est prélevé chez les patients victimes d’un infarctus du myocarde et est mis en culture pour faire croître les progéniteurs cardiaques, qui sont ensuite réinjectés dans le cœur. (Comme ces cellules sont issues du propre tissu cardiaque du patient, il n’y a pas de risque de rejet.) L’étude utilise un système de culture cellulaire élaboré que les chercheurs estimaient indispensable pour recueillir suffisamment de progéniteurs cardiaques pour le traitement.

« En gros, nous prenons ces cellules et nous les rendons plus performantes avant de les réintroduire dans le cœur. » – Dr Darryl Davis, clinicien-chercheur, ICUO

Mais le Dr Davis croit maintenant que ce système de culture prolongée n’est pas nécessaire. En plus de prendre beaucoup de temps à croître – ce qui retarde le traitement –, les progéniteurs cardiaques obtenus par cette technique pourraient être moins actifs et résistants que l’espéraient les chercheurs.

Le Dr Davis veut produire des progéniteurs plus performants et prêts à être réimplantés en environ une semaine, comparativement à plusieurs semaines pour le système de culture utilisé dans l’étude. Son laboratoire planche sur deux idées pour améliorer la culture et la réintroduction des progéniteurs. La première est de générer les cellules directement à partir de l’échantillon de tissu cardiaque, sans passer par la longue étape de la mise en culture. La deuxième est de modifier génétiquement les nouveaux progéniteurs pour qu’ils réparent le cœur plus efficacement.

Le Dr Davis devait trouver une source de tissu cardiaque pour produire les progéniteurs. Il a décidé d’utiliser une petite partie du muscle cardiaque appelée « appendice auriculaire », qui est excisée lors des pontages coronariens et considérée comme un déchet médical, avec le consentement des patients concernés.

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Le Dr Darryl Davis, M.D., est entré au service de l’Institut de cardiologie à titre de clinicien-chercheur et cardiologue-électrophysiologue en 2009, après une formation en médecine à l’Université d’Ottawa et des études postdoctorales en recherche fondamentale au laboratoire du Dr Eduardo Marbán, au Centre médical Cedars-Sinaï, à Los Angeles.

 
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Erik Suuronen, Ph. D., s’est joint à l’Institut de cardiologie en 2005 comme chercheur principal en chirurgie cardiaque. En 2010, il a été nommé directeur du Laboratoire de génie tissulaire cardiovasculaire. Il est aussi professeur agrégé au Département de chirurgie, avec nomination conjointe au Département de médecine cellulaire et moléculaire de l’Université d’Ottawa.

« Pour nous, l’appendice auriculaire représente le choix idéal parce qu’il fournit une quantité importante de tissu et nous permet de récolter une bonne quantité de progéniteurs cardiaques en l’espace de sept à dix jours », explique le Dr Davis. Dans des travaux réalisés avant son arrivée à l’Institut de cardiologie, le chercheur avait démontré qu’il était possible de cultiver les progéniteurs cardiaques directement à partir de l’échantillon de tissu. À l’heure actuelle, son laboratoire est le seul au Canada à maîtriser cette technique.

Après avoir recueilli les progéniteurs cardiaques, le Dr Davis et son équipe les soumettent à des manipulations génétiques pour induire la surexpression de certaines hormones qui les aident à se fixer dans le cœur et favorisent la formation de nouvelles cellules cardiaques et de nouveaux vaisseaux sanguins.

Des tests sont en cours pour évaluer la capacité de ces cellules à se greffer au cœur et à réparer une grande quantité de tissu cardiaque. « En gros, nous prenons ces cellules et nous les rendons plus performantes avant de les réintroduire dans le cœur », résume le Dr Davis.

Procurer un environnement favorable aux cellules

Erik Suuronen, chercheur principal et directeur du Laboratoire de génie tissulaire cardiovasculaire de l’Institut de cardiologie, s’intéresse aux progéniteurs endothéliaux. Des travaux récents menés dans son laboratoire ont mené à la mise au point d’un nouveau biomatériau qui procure un environnement favorable aux progéniteurs endothéliaux circulants. Il améliore la rétention des progéniteurs au niveau de la région endommagée et favorise de ce fait la formation de nouveaux vaisseaux sanguins. L’infarctus du myocarde et certaines maladies chroniques comme le diabète peuvent provoquer des lésions aux vaisseaux sanguins, ce qui peut réduire l’approvisionnement en oxygène des tissus et causer des dommages.

Dans une étude antérieure (voir le bulletin The Beat, vol. 4, no 1), M. Suuronen et ses collègues ont constaté que l’injection de ce biomatériau dans une patte ischémique de souris permettait de stimuler la réparation des vaisseaux sanguins et l’irrigation sanguine dans la région atteinte. Son équipe teste maintenant le biomatériau dans un modèle de lésion coronarienne. M. Suuronen élargit la portée de ses travaux au domaine du diabète dans le cadre de deux collaborations de recherche. Le diabète représente un facteur de risque important de cardiopathie, et beaucoup de patients sont atteints des deux maladies. On s’attend à ce que l’incidence du diabète augmente considérablement au cours des prochaines décennies.

« Chez les souris qui avaient reçu ces cellules, nous avons observé le rétablissement d’une irrigation sanguine comparable à celle des souris saines. » – Erik Suuronen, chercheur principal, Laboratoire de génie tissulaire cardiovasculaire, ICUO

Une première collaboration avec Greg Korbutt, de l’Institut du diabète de l’Alberta, vise à accroître le taux de succès des greffes d’îlots pancréatiques (ou « îlots de Langerhans ») chez les patients diabétiques. Le diabète de type 1 est dû à la destruction, par le système immunitaire, des cellules bêta des îlots pancréatiques, qui sécrètent l’insuline. Les greffes d’îlots, qui consistent à injecter par voie chirurgicale dans le foie du receveur des îlots sains prélevés chez des donneurs cadavériques, obtiennent un succès mitigé puisqu’une défaillance des greffons est rapportée dans 85 p. 100 des cas au cours de la première année.

« Une vascularisation insuffisante est souvent en cause, d’où l’intérêt de cette collaboration, explique M. Suuronen. Nous avons ces biomatériaux qui peuvent induire la régénération des vaisseaux sanguins et l’angiogenèse. Nous voulons maintenant voir si nous pouvons améliorer la survie et la fonction des greffons d’îlots pour la maîtrise du diabète en utilisant un biomatériau pour optimiser la vascularisation. »

Les chercheurs emploient un biomatériau composé de collagène et de chitosane, une molécule extraite de la carapace de crustacés. Des travaux antérieurs avaient déjà montré que l’ajout de chitosane à la matrice de collagène favorise le développement des cellules endothéliales qui tapissent les vaisseaux sanguins et la revascularisation des greffons d’îlots. Bien que les recherches débutent à peine, des résultats encourageants ont été obtenus puisque l’utilisation de ce biomatériau lors de greffes d’îlots chez les souris a permis une régularisation de la glycémie pendant une période allant jusqu’à six semaines.

Une deuxième collaboration avec Ross Milne, directeur du Laboratoire de diabète et d’athérosclérose de l’Institut de cardiologie, s’intéresse au dysfonctionnement des progéniteurs endothéliaux chez les patients diabétiques, problème qui serait notamment lié à la production par l’organisme de substances toxiques pour ces cellules. « Même si on donne [à ces patients] des cellules saines, à cause de l’environnement qui n’est pas favorable, elles performeront moins bien. Elles mourront plus vite, elles ne transmettront pas les signaux qui sont nécessaires à la régénération des vaisseaux sanguins et elles ne migreront pas aussi efficacement vers les régions où leur action est requise », explique M. Suuronen.

Les deux chercheurs ont identifié une de ces toxines ainsi qu’une enzyme fabriquée par l’organisme sain qui peut transformer cette toxine en substance non toxique. Dans des travaux de validation en cours, des progéniteurs endothéliaux surexprimant l’enzyme ont été injectés à des souris. « Chez les souris qui avaient reçu ces cellules, nous avons observé le rétablissement d’une irrigation sanguine comparable à celle des souris saines », rapporte M. Suuronen.

« Nous voulons maintenant mettre à l’essai dans de futures études une matrice libérant un médicament qui peut jouer le même rôle que l’enzyme, soit purifier l’environnement des cellules en éliminant la toxine. Cette approche serait plus facilement transposable en pratique clinique », souligne M. Suuronen.

Une option thérapeutique pour les patients

Parallèlement à leurs projets de recherche respectifs sur les progéniteurs cardiaques et les progéniteurs endothéliaux, le Dr Davis et M. Suuronen ont récemment entrepris une collaboration qui déterminera si l’un des deux types de cellules offre un plus grand potentiel pour la réparation cardiaque. Si seuls les progéniteurs cardiaques peuvent reconstruire le tissu du muscle cardiaque, les progéniteurs endothéliaux peuvent former de nouveaux vaisseaux sanguins et revasculariser le tissu ischémique.

Mais au-delà de la comparaison, « nous recherchons aussi une synergie. Je pense que ces deux types de cellules agissent en synergie, indique le Dr Davis. Si c’est le cas, nous essaierons de trouver comment nous pouvons les amener à travailler mieux ensemble. »

Les deux chercheurs croient aux applications cliniques de la médecine régénérative au cours de la prochaine décennie. « Je pense qu’elle jouera un rôle pour améliorer la fonction cardiaque, essentiellement aider les patients à se sentir mieux, souligne le Dr Davis. Il y a des limites aux bienfaits que peuvent procurer les médicaments et les dispositifs médicaux, et je crois que d’ici cinq à dix ans, nous pourrons proposer la thérapie cellulaire aux patients qui en ont besoin. Cela procurera des avantages supplémentaires. »

L’objectif plus ambitieux de pouvoir complètement restaurer la fonction cardiaque prendra sans doute plus de temps à se concrétiser et pourrait passer par une meilleure maîtrise des cellules souches embryonnaires. Mais même avec les progéniteurs adultes, « nous avons observé dans les essais cliniques sur les greffes cellulaires une amélioration de la qualité de vie des patients », note M. Suuronen.

« Grâce à l’accroissement continu des connaissances sur ces cellules et leur mécanisme d’action, nous pourrons améliorer la sélection des patients et raffiner le traitement – détermination de la dose optimale et du moment de l’administration, choix d’un type unique de cellules ou de populations mixtes. Plusieurs réponses seront fournies par la recherche dans les prochaines années et je crois que la thérapie cellulaire deviendra une véritable option thérapeutique pour les patients », conclut-il.