Le Dr Marc Ruel : l’avancement des soins et de la recherche en chirurgie cardiaque

21 février 2013

Le 1er janvier 2013, le Dr Marc Ruel a pris ses fonctions de chef de la Division de chirurgie cardiaque de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO), succédant au Dr Thierry Mesana qui dirigeait cette division depuis 2001.

Depuis son arrivée à l’ICUO en 2002, le Dr Ruel fait figure de pionnier et de défenseur de la chirurgie cardiaque à effraction minimale. Il a d’ailleurs formé des chirurgiens provenant de toute l’Amérique du Nord et d’ailleurs dans le monde à sa technique de pontage aortocoronarien à effraction minimale.

Lorsqu’il n’est pas en salle d’opération, le Dr Ruel se consacre à la recherche, à la tête du Laboratoire de thérapies régénératives. En collaboration avec le Laboratoire de génie tissulaire cardiovasculaire, dirigé par Erik Suuronen, Ph.D., son équipe étudie de nouvelles façons d’exploiter les cellules souches et les mécanismes d’autorégénération d’un patient pour réparer les tissus cardiaques endommagés.

Dans cette édition du bulletin The Beat, le Dr Ruel discute de l’avenir de la recherche en chirurgie cardiaque à l’ICUO, de son rôle évolutif dans les soins cardiaques et des occasions et des défis que représentent les nouvelles technologies.

Le bulletin The Beat : Comment voyez-vous l’évolution de la pratique chirurgicale à l’Institut de cardiologie au cours des prochaines années?

Dr Ruel : L’innovation technologique a eu des répercussions fabuleuses pour nous. En plus d’aider nos patients, elle nous a placés au premier plan sur la scène internationale. Nous avons parcouru le globe pour y pour enseigner des techniques opératoires que nous avons inventées ou adoptées. Nous recevons des patients de partout au pays, voire des États Unis, pour des interventions coronariennes à effraction minimale. Nous voulons absolument poursuivre dans cette voie qui enrichit notre programme et nous permet ainsi de mieux servir nos patients de même que la communauté en général.

Nous tenons en outre à offrir le meilleur enseignement possible aux médecins qui viennent à l’ICUO pour se former à de nouvelles techniques chirurgicales. C’est une contribution à moyen terme qui nous tient à cœur. En résumé, l’excellence clinique procure des bienfaits à court terme, la recherche des bienfaits à long terme et l’éducation des bienfaits à moyen terme plus généraux. Les résidents, les boursiers et les chirurgiens étrangers formés à l’ICUO retournent dans leurs établissements pour offrir des soins à la fine pointe à leurs patients. Cela fait partie de notre mission.

Après une opération, nos collègues anesthésistes assurent une prise en charge des patients de la plus haute qualité avant que ceux-ci ne quittent l’Unité de soins intensifs. Nous aimerions maintenant concevoir un modèle de soins encore plus intégrés englobant les infirmières et les autres professionnels de la santé, comme les physiothérapeutes. Nous comptons développer l’utilisation de protocoles visant à réduire la variabilité entourant les décisions médicales courantes qu’il faut prendre après une intervention chirurgicale, notamment les ordonnances d’anticoagulants, la surcharge en liquide ou une fréquence cardiaque rapide. Nous pensons qu’en utilisant des protocoles mis au point en partenariat avec le personnel infirmier, nous accroîtrons notre efficacité et nous réduirons le risque d’erreurs. L’un de nos chirurgiens, le Dr Khanh Lam, s’intéresse particulièrement à cette question.

Le bulletin The Beat : Vous qui êtes à la fois chirurgien et chercheur, comment percevez-vous l’évolution du programme de recherche en chirurgie cardiaque à l’ICUO, en particulier en ce qui a trait à son envergure et à son expansion?

Dr Ruel : Dans le domaine de la chirurgie cardiaque, nos recherches sont très solides; je dirais qu’à l’échelle internationale, nous nous situons dans les dix premiers. Mais nous ne disposons pas encore d’un cadre de recherche formel; nous sommes essentiellement un groupe de chirurgiens actifs en salle d’opération dont bon nombre se consacrent parallèlement à la recherche. Or, cette façon de faire n’est pas forcément viable. À l’avenir, nous comptons orienter le recrutement des chirurgiens sur leur rôle en recherche. Jusqu’à présent, cela n’a jamais été fait au sein de la division.

Nous voulons continuer nos travaux sur la régénération du cœur et de ses vaisseaux sanguins – ce sont des travaux auxquels nous participons en recherche translationnelle, un domaine où nous comptons étendre nos activités, sous la direction d’Erik Suuronen.

Nous voulons aussi accroître notre capacité à assurer le suivi à long terme d’un plus grand nombre de patients. C’est un mouvement que nous observons à l’ICUO, qui a en partie été initié en chirurgie, et qui vise à recueillir des données concernant le suivi à long terme de tous les patients de notre établissement. C’est une vision qui existait déjà il y a 30 ans, lorsque les équipes dirigées par le Dr Wilbert Keon, le Dr Pierre Bédard puis le Dr Roy Masters ont entrepris d’assurer le suivi de tous les patients ayant subi un remplacement valvulaire. Grâce à cette initiative, nous pouvons aujourd’hui compter sur un ensemble extrêmement riche de données sur le suivi à long terme, que nous pouvons relier aux résultats de patients qui ont survécu 10, 20, voire 30 ans après leur intervention. Grâce à la recherche, ces données nous permettent en outre de mieux comprendre ce qui fonctionne bien ou moins bien, et d’offrir des soins valvulaires optimaux.

Selon moi, il est important d’étendre ce suivi à tous les patients opérés du cœur et, idéalement, à chaque patient de l’ICUO. Je crois sincèrement que nos patients seraient heureux de participer à un processus visant à optimiser non seulement leur prise en charge, mais aussi celle des autres patients. Mettre en place un tel suivi n’est pas facile, mais son utilité est inestimable pour nos patients, tant actuels que futurs.

Nous voulons aussi renforcer davantage notre culture de la recherche clinique. Avec le Dr Fraser Rubens, je me suis engagé dans cette voie. Notre division a l’intention de se positionner de façon à faire valider nos techniques novatrices et à adopter la meilleure approche possible pour un patient donné, et pas seulement d’effectuer la meilleure opération. Cela implique aussi de réaliser ce que j’appelle des « études interspécialités », c’est-à-dire des essais cliniques et des travaux de recherche menés en collaboration avec nos collègues des secteurs de la cardiologie et de l’anesthésie.

Le bulletin The Beat : En 2017, l’Institut de cardiologie disposera de nouvelles installations, y compris une salle d’opération hybride. Quels avantages votre équipe va-t-elle en tirer?

Dr Ruel : Les salles d’opération hybrides présentent deux avantages. D’une part, pour ce qui est de la préparation et de la planification de l’opération, au moment même de l’intervention. Avec une capacité d’imagerie comparable à la TDM qui sera disponible en salle d’opération, nous obtiendrons un plan détaillé qui nous permettra de désigner l’emplacement exact des structures anatomiques d’un patient donné. Nous pourrons alors déterminer très précisément le lieu optimal de l’incision et par conséquent réduire l’effraction au minimum, ce qui maximisera les résultats pour le patient tout en simplifiant l’opération pour le chirurgien.

D’autre part, ce type de salle améliore l’assurance de la qualité. Nous pourrons valider presque instantanément les résultats de toutes les interventions coronariennes et aortiques grâce aux mesures de la perfusion réalisées en salle d’opération et à l’observation radiologique des greffons, des reconstructions ou des réparations valvulaires. En fait, nous y parvenons déjà pour les valvules, ce qui a considérablement modifié nos pratiques. D’après moi, cela sera bientôt possible en chirurgie aortique et coronarienne et cela deviendra une norme de pratique de la chirurgie moderne.

Le bulletin The Beat : Comment pensez-vous que la chirurgie cardiaque évoluera au cours de la prochaine décennie?

Dr Ruel : Je pense que la chirurgie cardiaque est en plein essor. Cependant, comme toutes les spécialités chirurgicales, elle arrive en bout de course pour nos patients – à la suite d’un parcours marqué par l’élimination ou l’échec d’autres traitements et interventions cardiovasculaires. Je crois tout de même que le temps et les ressources alloués à la chirurgie cardiaque continueront d’augmenter.

Certaines opérations habituelles – des interventions de première ligne très courantes – vont toutefois, décliner. C’est d’ailleurs une bonne chose, cela correspond à l’évolution normale de la chirurgie. Selon moi, les affections simples seront prises en charge par d’autres spécialités. La chirurgie sera réservée au traitement de maladies avancées ou graves, ou aux cas compliqués pour lesquels les autres options n’ont pas fonctionné ou seraient moins efficaces.

D’un côté, la chirurgie cardiaque s’ouvre de plus en plus aux techniques à effraction minimale et de l’autre, elle se complexifie et étend son rayon à des affections que nous ne savions pas traiter auparavant. Et ce, en grande partie grâce au travail de nos collègues des services d’anesthésie et de soins intensifs, dont le rôle crucial nous permet de réaliser des opérations complexes en toute sécurité. Nous avons réussi à accroître le spectre des interventions difficiles, notamment chez des patients ayant un très mauvais fonctionnement cardiaque. Il y a encore à peine cinq ans, ce type d’opérations n’était pas envisageable.

À mon avis, nous verrons de moins en moins d’interventions chirurgicales courantes, mais de plus en plus d’interventions à effraction minimale et de cas extrêmes nécessitant le recours à des techniques de chirurgie cardiaque avancée. Je m’attends à une augmentation de la demande dans notre division, mais aussi dans les équipes qui interviennent en salle d’opération, dont celles des services d’anesthésie et de soins infirmiers.

En tant que division, notre position est idéale pour faire rayonner l’excellence en matière de soins, d’éducation et de recherche. Notre équipe possède de vastes compétences et chaque chirurgien s’intéresse à un domaine particulier, mais pas exclusif. Je pense aux docteurs Mesana et Vincent Chan pour la valvule mitrale, au Dr Rubens pour l’endartériectomie pulmonaire, au Dr Munir Boodhwani pour les atteintes aortiques, au Dr Buu-Khanh Lam pour les arythmies, au Dr Masters pour la valvule aortique et son rôle moteur à la Société canadienne des chirurgiens cardiaques, au Dr Hendry pour l’insuffisance cardiaque. Et je tiens à ajouter que malgré l’importante charge de travail que cela représente, c’est un honneur et un grand privilège de diriger une équipe aussi extraordinaire.