Rencontre avec le nouveau président-directeur général de l’Institut de cardiologie

8 octobre 2013

Chirurgien cardiologue de renom, champion de l’innovation et administrateur aussi expérimenté que respecté, le Dr Thierry Mesana est également un ardent défenseur de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO). Le 11 septembre, l’Institut de cardiologie a annoncé sa nomination comme président-directeur général, pour succéder au Dr Robert Roberts en 2014. Il sera le 3e à occuper ce poste depuis les débuts.

Natif de France, le Dr Mesana est reconnu comme l’un des plus éminents spécialistes de la chirurgie valvulaire cardiaque au monde. Au début des années 1990, il a été le plus jeune chirurgien cardiologue en France à recevoir le titre de professeur titulaire. Il est ensuite devenu chef du programme de chirurgie thoracique et cardiovasculaire à l’Hôpital universitaire de La Timone, le plus important hôpital de Marseilles, où il a introduit un certain nombre de techniques de pointe et élargi considérablement le programme de chirurgie cardiaque.

Fermement engagé à l’égard de la recherche et de l’innovation, le Dr Mesana est aussi titulaire d’un doctorat en biophysique et biomécanique. Il a dirigé les premiers travaux importants dans l’élaboration de nouveaux concepts sur les dispositifs d’assistance ventriculaire et les cœurs artificiels, et a été un vrai pionnier de la technologie de pompe rotative électrique. Une technologie similaire est aujourd’hui la norme clinique pour sauver les patients atteints d’insuffisance cardiaque en phase terminale. Il a aussi été un leader dans l’utilisation clinique des cœurs artificiels implantables en Europe. Ces innovations ont contribué à accroître sa notoriété et lui ont valu un poste de professeur invité à l’École de médecine Harvard où il a effectué une recherche de pointe en cardiomyoplastie, l’utilisation d’un muscle squelettique électrostimulé pour renforcer les cœurs défaillants.

Le Dr Mesana a rejoint l’Institut de cardiologie comme chef de la Division de chirurgie cardiaque en 2001, un poste qu’il a quitté plus tôt cette année. Sous sa gouverne, le programme de réparation des valvules cardiaques de l’Institut s’est taillé la réputation d’être l’un des meilleurs au monde. Son insistance à réparer les valvules cardiaques défaillantes a aidé à faire de cette approche le traitement de référence en la matière. Qui plus est, il a favorisé l’essor des interventions chirurgicales à effraction minimale pour les pontages coronariens et les arythmies cardiaques complexes. Tout aussi important, le Dr Mesana a joué un rôle déterminant en favorisant la collaboration par-delà les frontières scientifiques et cliniques, toujours dans l’optique d’améliorer les soins aux patients.

Le Dr Mesana assumera de nombreuses responsabilités dès janvier, et le Dr Roberts lui cédera entièrement les commandes à la fin de l’exercice financier en cours.

Le Dr Mesana fera encore bénéficier les patients de son expertise clinique, mais sur une base plus limitée.

Bulletin The Beat : Pourquoi souhaitiez-vous devenir le prochain président de l’Institut de cardiologie?

Dr Mesana : Depuis que je suis ici, l’Institut de cardiologie m’a beaucoup donné en me permettant de réaliser plusieurs de mes rêves comme chirurgien, et je serai éternellement reconnaissant de cela. J’ai voulu être le prochain chef de file pour offrir quelque chose en retour, servir la famille de l’Institut de cardiologie, servir le personnel et les patients. J’ai pu le faire dans une certaine mesure comme chef de la Division de chirurgie, mais maintenant, je serai en mesure de jouer un rôle encore plus grand.

Je suis venu ici il y a 12 ans, car je croyais vraiment au concept de l’Institut de cardiologie, et j’ai plus que jamais la conviction que nous bénéficions, ici à Ottawa, d’un cadre unique. Nous avons, ici dans un même édifice, tous les professionnels des soins de santé et des sciences cardiovasculaires qui travaillent de concert vers un même objectif commun. Ce n’est pas ainsi que ça se passe dans les autres centres, pas dans cette mesure. Les cardiologues et les chirurgiens, tous ces professionnels, se parlent et travaillent ensemble au quotidien. C’est ce qui rend l’Institut de cardiologie si spécial. Mais cela ne va pas de soi. Le rôle du président-directeur général est de maintenir et de renforcer cette façon de faire, de continuer à unir ces gens et à veiller à ce que personne ne travaille en vase clos.

De plus, je souhaite transmettre à la relève l’esprit de famille de l’Institut de cardiologie et le sentiment commun de partage. C’est important que les gens qui travaillent ici partagent ce même esprit, cet « esprit de corps ».

Je vais paraphraser JFK et dire aux nouvelles recrues : « Ne demandez pas ce que l’Institut de cardiologie peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour l’Institut de cardiologie. » C’est cet esprit, cet héritage qui permettra à l’Institut de subsister et de devenir encore plus fort.

Je suis très fier d’avoir été choisi pour être le prochain président-directeur général. J’espère pouvoir servir avec transparence et honnêteté, et aussi avec passion pour offrir aux patients les meilleurs soins possible.

Bulletin The Beat : Où situeriez-vous l’Institut de cardiologie dans le paysage canadien de la médecine cardiovasculaire?

Dr Mesana : Il ne fait aucun doute à mon esprit que l’Institut est un établissement de premier ordre, mais on ne peut se déclarer soi-même le meilleur. C’est à d’autres à le reconnaître.

Ce que nous sommes, nous le devons au travail exceptionnel de notre équipe et au rôle moteur joué par mes prédécesseurs. Le Dr Keon a été le fondateur. Il a eu la vision pour créer l’Institut de cardiologie ici à Ottawa à une époque où la chirurgie cardiaque n’existait même pas dans la région. Lui et la première génération d’employés de l’Institut ont ouvert la voie à ce que nous sommes maintenant. Ils ont travaillé d’arrache-pied pour rendre l’Institut plus prospère et encore meilleur. Le Dr Keon est une icône des soins de santé canadiens.

Ensuite, le Dr Roberts a fortement marqué son époque, notamment en recherche, et il a consolidé le profil de l’Institut. Sous sa gouverne, l’organisation n’a cessé de croître. Mais, nous ne devons jamais relâcher notre vigilance quant à la qualité du travail que nous accomplissons. Nous devons toujours aspirer à plus. Nous ne pouvons pas nous asseoir sur nos lauriers et notre réputation.

Effectivement, nous sommes au sommet de notre art dans bien des domaines, mais je m’intéresse davantage à savoir comment nous nous comparons aux autres établissements de pointe à l’extérieur du Canada, plus particulièrement aux États-Unis, mais aussi ailleurs dans le monde. Nous sommes prêts à rivaliser avec les meilleurs sur la planète. Nous avons l’avantage d’être un centre spécialisé en cardiologie, avec toute l’expertise rassemblée en un seul et même lieu, et une vaste population de patients. Il s’agit d’un contexte unique pour élargir les activités de recherche et d’innovation clinique.

Bulletin The Beat : Comment envisagez-vous l’évolution des soins cardiovasculaires dans les prochaines années?

Dr Mesana : D’une part, la population croît et vieillit; plus de patients feront donc leur entrée dans le système, plus vieux et potentiellement plus malades. On comptera notamment un plus grand nombre de patients atteints d’insuffisance cardiaque et de valvulopathies ainsi que de troubles du rythme cardiaque, comme la fibrillation auriculaire. D’autre part, la capacité et la motivation à prévenir la maladie du cœur se sont améliorées, et il nous faudra travailler à l’autre extrémité du spectre pour prévenir la maladie du cœur chez les jeunes patients qui présentent des risques non contrôlés de maladie cardiovasculaire.

À l’Institut de cardiologie, nos compétences et notre innovation en matière d’interventions à effraction minimale, qui diminuent le traumatisme lié à une opération et à d’autres interventions, nous permettent de traiter des patients plus âgés et plus malades, et de prodiguer les traitements les plus complexes que personne d’autre ne veut offrir. Nous avons la réputation de ne presque jamais refuser des soins sous prétexte qu’un cas est trop difficile ou trop risqué.

Nous voyons de plus en plus de patients aux prises avec un amalgame de maladies qui nécessitent une approche multidisciplinaire. Je prévois que la médecine cardiovasculaire de l’avenir adoptera de plus en plus une culture centrée sur le patient, où les patients seront traités de façon coordonnée pour la maladie dont ils souffrent, au lieu d’être perçus comme des candidats à une intervention donnée. En d’autres mots, ils n’auront pas à choisir entre des spécialistes offrant différentes interventions, mais ils bénéficieront de la meilleure intervention recommandée en fonction de l’évaluation que fera une équipe pluridisciplinaire dédiée à leur état. Cela fait partie de la médecine personnalisée.

Notre équipe ITVA (implantation transcathéter de valvule aortique) est un bon exemple de ce que nous faisons déjà en la matière. En fait, on ne devrait pas parler du programme ITVA, mais plutôt du programme de sténose aortique, car l’accent est mis sur les patients qui présentent ce problème. Certains bénéficient d’une ITVA, tandis que d’autres subissent plutôt une intervention chirurgicale classique parce que ça leur convient mieux. Et d’autres continuent simplement à être suivis par leur médecin traitant, de concert avec notre équipe de cardiologues, de chirurgiens et d’anesthésistes.

Notre équipe de transplantation en est un autre exemple. Il n’est pas question de transplantation cardiaque. Il est question d’insuffisance cardiaque. Le groupe comprend des cardiologues, des chirurgiens, des anesthésistes, des physiothérapeutes, des perfusionnistes, des infirmières et des psychologues. Ils se rencontrent chaque semaine pour évaluer les patients atteints d’insuffisance cardiaque qui peuvent être candidats à une transplantation cardiaque. Certains ont besoin d’une transplantation maintenant, certains peuvent avoir besoin d’un dispositif d’assistance ventriculaire, puis d’une transplantation, tandis que d’autres peuvent être pris en charge avec des médicaments pour un certain temps. Certains, malheureusement, ne seront jamais admissibles à une transplantation, et l’équipe devra trouver d’autres solutions pour les aider. Tout part du patient et de ses besoins.

Bulletin The Beat : Vous considérez que les soins et la recherche sont étroitement liés.

Dr Mesana : Le mandat général de l’Institut de cardiologie est de prévenir et de traiter la maladie du cœur. Les patients et leur famille viennent ici pour obtenir les meilleurs soins qui soient. Ils n’ont pas besoin d’aller ailleurs. La recherche fait partie intégrante de cela, en particulier la recherche qui est rapidement transposée en soins cliniques, ce qu’on appelle la « recherche translationnelle ».

D’après mon expérience, la recherche sur les résultats cliniques est très importante. Dans une organisation comme la nôtre, nous avons énormément de données longitudinales sur les patients, et elles peuvent être utilisées pour évaluer et améliorer les lignes directrices cliniques. Nous devons développer nos technologies de l’information afin de pouvoir exploiter ces données plus efficacement.

J’aime la recherche fondamentale. Je suis un médecin qui a un doctorat et qui a toujours soutenu la recherche préclinique. Quand je travaillais en laboratoire dans les années 1990, je cherchais toujours des solutions aux problèmes non résolus que j’observais chaque jour auprès des patients. J’ai vu les formidables bienfaits d’un échange dynamique entre la clinique et le laboratoire.

Là réside la valeur incomparable de l’Institut de cardiologie, un établissement intégré qui allie les soins à la recherche clinique et fondamentale. Cette expérience et notre vaste population de patients nous permettent de travailler au même niveau que les meilleurs établissements au monde. Nous le faisons déjà de bien de façons, mais nous pouvons faire plus.

Bulletin The Beat : Vous apportez une perspective fortement internationalisée et avez piloté la collaboration de l’Institut avec l’Hôpital municipal de Qingdao en Chine. En quoi la collaboration internationale est-elle importante pour l’Institut de cardiologie?

Dr Mesana : En travaillant au niveau international, vous faites vos preuves sur une scène qui réunit les meilleurs centres au monde. Sur la base de ce que nous faisons pour aider Qingdao à mettre en place son centre de cardiologie, d’autres hôpitaux de Chine nous ont approchés. Ils pourraient s’adresser à d’autres établissements de renom aux États-Unis, certains ayant d’ailleurs offert de travailler avec eux, mais ils nous attendent. C’est une marque de reconnaissance.

Bulletin The Beat : Le projet d’agrandissement tant attendu progresse rapidement. Qu’est-ce que ça représente pour l’Institut de cardiologie?

Dr Mesana : C’est l’une des raisons qui m’ont incité à postuler pour ce poste. Le nouvel édifice est indispensable pour les soins des patients, et nous permettra de développer nos capacités et nos installations. Nos trois piliers que sont les soins, la recherche et l’éducation profiteront également de cet agrandissement ultramoderne. Il deviendra un facteur important pour le recrutement et la satisfaction des employés. Il fera de l’Institut de cardiologie un lieu de travail encore plus attrayant.

Le processus de construction prendra encore quelques années et présentera des défis de taille. Beaucoup de choses ont été accomplies à ce jour, et le Dr Roberts mérite toute notre considération pour cela. Cependant, il reste encore beaucoup à faire. Il nous faudra gérer le processus, respecter le budget et nous assurer d’obtenir ce que nous voulons pour demeurer un centre de calibre mondial.

L’Institut de cardiologie est l’un des joyaux de la région d’Ottawa. Nous sommes fiers de servir notre communauté et nous lui sommes reconnaissants de sa générosité. Son soutien indéfectible sera essentiel à l’édification de notre nouvelle demeure, tout comme à l’avenir de l’Institut de cardiologie en général.