Réduire les radiations en imagerie cardiaque

13 décembre 2012

Quand on parle de radiation, c’est peut-être Peter Parker (Spider-Man) qui résume le mieux la situation : « À grand pouvoir, grande responsabilité ». Bien que personne à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) n’ait eu à gérer les complications qui viennent avec les superpouvoirs d’une araignée radioactive, le personnel est parfaitement conscient de l’immense responsabilité qui vient avec l’utilisation de la radioactivité. En fait, l’Institut de cardiologie établit de nouvelles normes pour l’utilisation ciblée et limitée des radiations en réduisant grandement l’exposition des patients dans tous ses examens d’imagerie cardiaque.

Les radiations n’ont pas toujours été associées à notre santé, ce qui peut donner l’impression qu’elles sont néfastes et doivent être évitées à tout prix. En fait, au cours des dernières décennies, les technologies d’imagerie médicale qui utilisent les radiations ont grandement transformé la pratique médicale en offrant des possibilités sans précédent pour diagnostiquer la maladie. Elles se déclinent sous des acronymes qui nous sont maintenant familiers : TDM (tomodensitométrie), TEMP (tomographie par émission monophotonique) et TEP (tomographie par émission de positons).

«  Il nous incombe de veiller à faire de notre mieux pour nos patients quant à la minimisation du risque et la maximisation des bienfaits. »

– Robert deKemp, Ph.D. Physicien principal spécialisé en imagerie, ICUO

Les examens de perfusion myocardique par TEMP mesurent le débit sanguin dans le muscle cardiaque et constituent la majorité des examens de cardiologie nucléaire. L’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa a déjà abaissé la dose de radiation pour la plupart de ces examens à près de la moitié du niveau recommandé dans les nouvelles cibles professionnelles pour 2014.

Les technologies derrière ces systèmes varient, mais chacune propose des images du corps humain qui sont pour le moins étonnantes – révélant non seulement la structure physique qui se cache derrière notre peau, mais aussi des processus biochimiques complexes, comme un médicament en action ou tout simplement présent. L’imagerie cardiaque est devenue un élément essentiel non seulement pour diagnostiquer l’état des patients, mais aussi pour déterminer et suivre leurs traitements. Et pourtant, à l’image d’un médicament très puissant, la radiation est une médecine puissante qu’il faut employer avec circonspection. Sur ce plan, l’Institut de cardiologie a suivi le rythme des développements, mais il est aussi resté à l’avant-garde du progrès.

« Cette histoire, c’est celle d’une technologie en perpétuelle évolution », explique le Dr Terry Ruddy, directeur du Service de cardiologie nucléaire. Il attire l’attention sur les innovations associées à des systèmes bien établis comme la TDM, cet appareil de radiographie bien connu en forme de beigne qui procure des images tridimensionnelles du cœur. La tomodensitométrie offre maintenant une forme d’angiographie pratique et non effractive pour identifier le site de problèmes comme le dangereux resserrement des vaisseaux sanguins causé par l’accumulation de plaques sur les parois artérielles.

Le Dr Ben Chow, cardiologue et codirecteur du Service de radiologie cardiaque, est l’un des pionniers de la TDM cardiaque et de son utilisation sur les patients. Il a été parmi les premiers à utiliser ces méthodes qui diminuent considérablement la quantité de radiations requises.

Le programme de TDM de l’Institut de cardiologie a réduit l’exposition aux rayonnements d’environ un tiers par rapport à ce qu’ils étaient.

Le logiciel, par exemple, peut synchroniser le tomodensitomètre en fonction des battements de cœur, activant et désactivant le faisceau de rayons X quand le cœur relaxe. Comme les images sont prises uniquement durant une portion du cycle cardiaque, l’exposition du patient est réduite au minimum.

« Cette méthode réduit de 40 p. 100 la dose de radiation à laquelle le patient est exposé », note-t-il. Des logiciels de reconstruction sophistiqués et les détecteurs récents plus sensibles ont aussi permis de diminuer encore plus les radiations, de sorte qu’on peut maintenant bénéficier de la même qualité d’image avec une plus petite quantité d’énergie de rayons X.

Avec l’évolution des techniques, le programme de TDM de l’Institut de cardiologie a réduit l’exposition aux rayonnements d’environ un tiers par rapport à ce qu’ils étaient. L’exposition restante engendre un très faible risque de cancer calculé sur toute la durée de vie, souligne le Dr Chow. Mais, pour la plupart des patients, ce faible risque à long terme s’efface devant le risque beaucoup plus immédiat d’un accident vasculaire cérébral, d’une crise cardiaque ou d’un décès attribuable à une maladie du cœur.

La perspective nucléaire

La première moitié du 20e siècle s’est démarquée par les premières études scientifiques sur la radiation, qui ont culminé avec la fabrication de la première bombe atomique. La deuxième moitié du siècle a vu l’essor de la médecine nucléaire, qui a mis les particules hautement énergétiques émises par les substances radioactives au service de l’imagerie médicale.

Bien que les radiographies utilisent les radiations pour enregistrer des images de structures internes qui, autrement, demeurent opaques à la lumière visible, elles ne peuvent capter que les caractéristiques physiques et sont incapables de faire la distinction entre des sujets vivants et des sujets morts. La TEP et la TEMP, en comparaison, peuvent capter des preuves d’activités biologiques et chimiques qui se déroulent à l’intérieur d’un sujet.

Chaque année au Canada, on effectue des millions de TEP et de TEMP. Les deux techniques reposent sur l’utilisation d’agents radioactifs, connus sous le nom d’isotopes, qui sont rattachés à des « marqueurs » spécialement formulés, appelés « traceurs », et injectés dans la circulation sanguine du patient. Selon la nature chimique du marqueur, le produit injecté va migrer à un endroit donné du corps qui présente un intérêt.

Même si la quantité d’isotopes injectés est extrêmement faible, ces particules servent de balises pour les détecteurs placés tout autour du corps. En quelques secondes ou minutes, ces particules radioactives donneront une image de leur environnement biochimique, montrant par exemple comment différentes parties du muscle cardiaque reçoivent le sang riche en oxygène.

« La sensibilité que nous avons avec la médecine nucléaire est phénoménale », rapporte Glenn Wells, Ph.D., physicien à l’Institut de cardiologie. « Nous pouvons détecter des quantités infimes de substances. Ça procure des avantages incroyables quand on cherche à comprendre ce qui se passe vraiment dans un système vivant. »

Avec certaines techniques d’imagerie plus sophistiquées, on injecte dans le sang des patients des agents radioactifs appelés « isotopes ». Habituellement, les radiations ne perdurent que quelques heures, et dans certains cas à peine quelques minutes. Mais, pendant ce temps, les particules qui sont émises de l’intérieur du corps peuvent être détectées et transformées en représentation visuelle des processus internes qui, autrement, demeureraient invisibles.

La technologie TEMP et TEP est basée sur l’utilisation d’isotopes. Comme c’est le cas avec la tomodensitométrie, la dernière génération de détecteurs est beaucoup plus sensible, de sorte que les images obtenues sont meilleures que jamais alors que la quantité de radiations diminue. Et à l’image de la TDM, tout risque connexe porte la promesse d’un traitement plus efficace.

« Cela apporte une valeur ajoutée quant aux autres types de renseignements, qui peut conforter la certitude d’un diagnostic», rapporte Robert deKemp, Ph.D., physicien principal spécialisé en imagerie, expliquant qu’une bonne TEP rend inutiles plusieurs interventions subséquentes. « Si vous avez un examen définitif qui vous aide à trouver le bon traitement, ça peut réduire la nécessité d’examens complémentaires. »

Il ajoute que la réduction minimale des radiations n’est pas juste une question de changement technologique; il s’agit aussi de changer les protocoles cliniques. Par exemple, le diagnostic des patients cardiaques était généralement posé à la suite d’un test en deux parties : ils subissaient d’abord un examen au repos, le cœur battant normalement, puis ils étaient testés une seconde fois avec le cœur soumis à une forme de stress, par exemple après un bref exercice sur tapis roulant.

Récemment, il est devenu évident que si la portion de l’examen qui se fait en situation de stress révèle un problème, la partie au repos peut être éliminée. Ainsi, l’exposition aux rayonnements peut être réduite de moitié pour un grand nombre de personnes. Et en plus, ça permet d’épargner du temps et de l’argent.

De même, si un patient peut rester plus longtemps devant l’appareil de détection sans bouger, la même image peut être générée avec beaucoup moins de radiations. M. deKemp souligne que ces solutions pratiques et sensées témoignent d’une attitude à l’égard des radiations qui accorde la primauté au patient en lui donnant des options : « Il nous incombe de veiller à faire de notre mieux pour nos patients quant à la minimisation du risque et la maximisation des bienfaits. »

Or, comme aime le dire le Dr Ruddy, « c’est offrir le bon examen à la bonne personne ».

Selon le président-directeur général de l’Institut de cardiologie, le Dr Robert Roberts, c’est une attitude qui a connu un énorme succès, avec le personnel clinique et de recherche qui adapte les méthodes et les équipements existants pour diminuer les radiations à un niveau sans précédent.

« Je suis très fier que nous ayons des gens qui travaillent sur ce plan, dit-il. Nous ne nous contentons pas de prendre ce qui existe et de l’appliquer. Nous apportons notre contribution par des innovations majeures. »

Hausser la barre, abaisser la limite

On mesure la dose de radiation reçue par le corps humain en sieverts (Sv). Cette unité prend en considération les effets biologiques des radiations et est liée à un risque éventuel de développer un cancer. Des quantités supérieures à 1 Sv ont été observées chez les travailleurs de la centrale de Fukushima au Japon quand ses réacteurs ont été endommagés, faisant peser une menace immédiate sur leur santé. À l’opposé, les radiographies dentaires classiques émettent une dose de l’ordre de quelques microsieverts (μSv) – environ un million de fois moins –, un niveau que la plupart des personnes considèrent comme négligeable.

Selon le physicien médical de l’Institut de cardiologie, Glenn Wells, nous sommes exposés dans notre vie de tous les jours à des quantités de radiation qui se situent entre ces deux extrêmes, sans conséquence négative connue. « L’exposition type à Ottawa, si l’on exclut les radiations médicales, est d’environ deux millisieverts (mSv) sur une base annuelle », explique-t-il. En d’autres mots, la dose que vous recevez normalement du soleil ou des affleurements rocheux radioactifs naturellement est au moins mille fois inférieure au pire scénario, mais mille fois supérieure à celle d’une simple radiographie dentaire.

En fait, des études réalisées auprès de personnes vivant dans des endroits où elles reçoivent jusqu’à 25 mSv par année n’ont montré aucune différence notable quant à l’espérance de vie moyenne ou l’incidence du cancer. Une tomodensitométrie du corps entier entre aussi dans cette plage, allant de 10 à 30 mSv.

Dans le domaine de l’imagerie cardiaque, l’American Society of Nuclear Cardiology a dévoilé une norme qu’elle voudrait voir adoptée d’ici 2014, soit que 75 p. 100 de tous les patients reçoivent en moyenne pas plus de 9 mSv, peu importe l’examen.

M. Wells souligne que la plupart des examens faits à l’Institut de cardiologie sont déjà sous cette marque, avec une moyenne tournant autour de 5 mSv. Aussi impressionnants que ces chiffres puissent paraître, il insiste pour dire que ce sont des cibles en mouvement, transformées par le progrès technologique et les perspectives scientifiques entourant le mode d’utilisation de la radiation en médecine.

« Il y a 20 ans, on disait que 10 mSv était parfait, rappelle-t-il. Le monde a quelque peu changé et maintenant, les gens en attendent plus. Dans 20 ans, peut-être que la cible de 5 mSv ne sera plus suffisamment basse. Peut-être devrons-nous descendre la limite à 3. Mais, d’ici là, nous serons en mesure d’accomplir cela. »

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