Depuis leur apparition à la fin des années 1980, les hypocholestérolémiants connus sous le nom de « statines » se sont élevés au rang des médicaments les plus largement prescrits. Le médicament est utilisé pour traiter la maladie coronarienne (athérosclérose) en abaissant la quantité de cholestérol LDL – le « mauvais » cholestérol – dans le sang.
Plus de 2,5 millions de Canadiens prennent des statines; aux États-Unis, le nombre d’utilisateurs approche les 35 millions. Une mise à jour récente des lignes directrices relatives à la prévention des maladies cardiovasculaires et de l’AVC de l’American Heart Association (AHA) a provoqué une certaine controverse dans les médias et fait beaucoup jaser dans les milieux médicaux parce qu’elles semblaient suggérer d’étendre l’utilisation des statines.
Le bulletin The Beat a discuté avec Ruth McPherson , M.D., Ph. D., des bienfaits et des risques liés à ces médicaments très largement utilisés après sa présentation sur ce sujet au groupe de soutien pour les cardiaques OHSG (pour Ottawa Heart Support Group ). La Dre McPherson est une leader d’opinion importante en matière de gestion du cholestérol et de réduction du risque de la maladie du cœur, et elle a contribué à l’élaboration des lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie pour ce champ de pratique clinique. À l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO), elle occupe plusieurs postes de gestion, dont ceux de directrice de la Clinique des lipides et du Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy .
Bulletin The Beat : Que savons-nous de la valeur des statines pour traiter les personnes qui ont une maladie du cœur?
Dre McPherson : Les statines font maintenant partie des soins courants des personnes qui souffrent d’une maladie du cœur afin de réduire le risque d’un autre événement cardiovasculaire – crise cardiaque ou accident vasculaire cérébral – ou d’une autre intervention – pose d’endoprothèses ou pontage coronarien. De nombreuses études en ont démontré les bienfaits. Les statines réduisent fortement le risque d’autres problèmes cardiaques ou de mort cardiaque. Si vos artères sont obstruées, les statines réduisent le risque de progression; et surtout, elles procurent un avantage notable en prolongeant la durée de vie en bonne santé.
Au Canada, nous mesurons les taux de cholestérol en mmol/l. Une réduction de 1 mmol/l des résultats de cholestérol LDL se traduit par une réduction de 20 à 25 p. 100 des événements cardiovasculaires. Comme les bienfaits généraux d’un traitement aux statines dépendent du niveau d’abaissement de votre taux de cholestérol LDL, nous visons maintenant des taux inférieurs à nos cibles antérieures.
Les plus récents hypocholestérolémiants sont très efficaces et ils peuvent faire baisser le cholestérol LDL à des taux bien inférieurs que ne le faisaient les médicaments d’il y a 15 ans. Plus vous abaissez votre cholestérol LDL, meilleur est votre état. Et plus vous prenez des statines pendant longtemps, meilleurs sont les bienfaits.
Mes patients me demandent souvent si nous pouvons vraiment faire régresser l’athérosclérose. Nous commençons à voir des preuves qu’elle peut effectivement régresser, lentement, si l’on arrive à abaisser suffisamment les taux de cholestérol LDL. C’est important, car les dépôts lipidiques qui causent l’athérosclérose peuvent se rompre et provoquer des obstructions. Même si vous avez reçu plusieurs endoprothèses ou subi un pontage coronarien, seul le caractère urgent de la maladie a été pris en charge. Certaines autres artères renferment encore des plaques, et tout ce que nous pouvons faire pour réduire cela réduira votre risque futur.
Bulletin The Beat : Que pensez-vous d’utiliser les statines afin de prévenir d’abord la maladie du cœur?
Dre McPherson : L’utilisation des statines en prévention primaire – chez les personnes sans maladie du cœur connue – est bénéfique, mais les bienfaits à court terme dépendent du niveau de risque de maladie du cœur pour une personne donnée. Les médias en ont beaucoup parlé dernièrement en raison de la modification des lignes directrices de l’AHA concernant les personnes qui devraient prendre des statines.
En résumé, pour la grande majorité des gens, les bienfaits des statines dépassent largement tout risque accru.
- Dre Ruth McPherson, directrice de la Clinique des lipides, ICUO
En fait, les médias n’ont pas bien couvert le sujet, parce que ces lignes directrices américaines ne sont pas très différentes des canadiennes. Les lignes directrices de l’AHA recommandent la prise de statines à toute personne dont le risque de mourir d’une maladie du cœur au cours des 10 prochaines années est supérieur à 8 à 10 p. 100. Cette recommandation est tout à fait appropriée.
Nous disposons de plus en plus d’éléments qui montrent que les statines diminuent les crises cardiaques et le risque de décès, toutes causes confondues, chez les personnes qui n’ont pas de problèmes cardiaques connus. Et c’est cela qui a suscité de nombreuses polémiques : quand et comment traiter quelqu’un qui n’a pas d’antécédent de maladie du cœur?
Les commentaires publiés dans les médias affirmaient que les statines en prévention primaire n’offraient aucun bienfait, parce qu’on ne diminue pas le nombre total de décès. C’est complètement faux. Des études ont plutôt montré qu’il y avait des bienfaits. Une méta-analyse [analyse combinant plusieurs études antérieures] publiée récemment dans le British Medical Journal a clairement démontré qu’en traitant les gens plus tôt et en réduisant davantage le cholestérol LDL, on arrivait à diminuer de manière remarquable le risque d’événement cardiovasculaire. On a constaté qu’en traitant une personne de 50 ans pour diminuer son cholestérol LDL de 2,6 mmol/l ou plus, on réduisait son risque d’environ 90 p. 100.
Ce qu’il faut retenir de cette étude, c’est que vous devez abaisser le plus possible votre cholestérol LDL, au moyen d’une dose tolérable de médicament, et si vous avez des facteurs de risque comme le diabète ou des antécédents familiaux de maladie du cœur, vous devriez commencer à l’abaisser plus tôt.
Bulletin The Beat : Considérons maintenant le revers de la médaille; qu’en est- il des effets secondaires et des risques? On fait souvent référence aux douleurs musculaires.
Dre McPherson : En effet, les effets secondaires sont une préoccupation légitime, et il y a plusieurs effets secondaires connus associés aux statines. Toutefois, les effets secondaires graves sont très rares et généralement évitables. Les problèmes musculaires peuvent varier d’intensité, allant de raideurs et d’inconforts légers à des douleurs musculaires et une faiblesse très importantes. La rhabdomyolyse généralisée, caractérisée par une dégradation rapide du tissu musculaire, est extrêmement rare. Je m’occupe des taux de cholestérol de mes patients depuis 26 ans et je n’ai rencontré que 2 cas de rhabdomyolyse.
Des études ont révélé que la fréquence des douleurs musculaires n’est pas tellement plus élevée par rapport aux personnes qui ne prennent pas de statines. Mais en général, quand il y en a, les douleurs musculaires sont pénibles et peuvent diminuer la qualité de vie et l’adhésion au médicament. La probabilité de souffrir de telles douleurs est plus élevée chez les patients âgés, les femmes et les personnes d’origine asiatique.
Les statines peuvent aussi être à l’origine de nouveaux cas de diabète chez un petit nombre de personnes. Nous ne savons pas encore exactement pourquoi cela se produit. Mais quand ça se produit, il s’agit souvent de patients qui sont en surpoids. Ils ont tendance à avoir une glycémie à jeun élevée et sont déjà en voie d’être diabétiques.
Les statines peuvent également entraîner une élévation des enzymes hépatiques. Nous surveillons les enzymes hépatiques dans certaines situations, mais cet effet secondaire est très rare.
En résumé, pour la grande majorité des gens, les bienfaits des statines dépassent largement tout risque accru. Et les bienfaits ne se limitent pas à la santé cardiaque. En général, le risque de démence est diminué de moitié chez les utilisateurs de statines. Est-ce que ça veut dire que les statines ont un effet protecteur? Eh bien, tout ce que nous pouvons faire pour atténuer les facteurs de risque vasculaires et maintenir un bon débit sanguin a des chances de protéger le cerveau de la démence vasculaire.
De plus, le milieu de la cancérologie montre actuellement un grand intérêt pour les statines en raison des preuves qui s’accumulent sur la diminution du risque de cancer du sein et l’amélioration des résultats chez les femmes atteintes du cancer du sein inflammatoire – une forme particulièrement agressive de cancer. Les statines pourraient même être bénéfiques en cas de cancer de la prostate.
Bulletin The Beat : Alors, quelles sont les options pour les patients qui éprouvent des problèmes musculaires?
Dre McPherson : La douleur musculaire est la principale raison pour laquelle les patients cessent de prendre leurs statines ou diminuent leur dose. Nous voulons faire le maximum pour que les gens continuent à prendre leur médicament correctement, car les bienfaits sont nettement réduits quand les statines ne sont pas prises telles qu’elles ont été prescrites.
Ce sont des effets secondaires mineurs qui amènent les gens à éviter ou à cesser de prendre des statines. Évidemment, ces effets secondaires peuvent ne pas sembler mineurs pour la personne qui se réveille au milieu de la nuit avec des crampes musculaires. On les qualifie de mineurs par rapport aux atteintes graves, mais ils peuvent quand même nuire à la qualité de vie.
Dans la plupart des cas, nous pouvons gérer ces effets secondaires en ajustant la dose de statines que prend le patient. Nous pouvons aussi essayer une statine différente. C’est l’approche privilégiée pour obtenir la plus importante baisse de cholestérol LDL. Nous pouvons aussi échelonner ou alterner la prise de statines, comme trois fois par semaine, un jour sur deux ou même une seule fois par semaine, bien que cela puisse en réduire l’efficacité. Et nous pouvons également réduire la dose des statines de façon plus importante et les combiner à un autre médicament hypocholestérolémiant.
Seulement 2 p. 100 de la population est incapable de prendre des statines en raison des effets secondaires. C’est une portion infime, mais non moins réelle de la population. D’autres médicaments sont disponibles pour ces personnes, comme des hypocholestérolémiants de génération antérieure qui sont généralement moins efficaces. Un nouveau groupe d’agents, appelés « inhibiteurs de PCSK9 », se profile à l’horizon et devrait être disponible d’ici deux à cinq ans. Ce traitement peut abaisser le cholestérol LDL autant, sinon plus que les statines, généralement sans effets secondaires, mais il doit être administré par injection par le patient toutes les deux semaines.