La dernière décennie a été marquée par un progrès rapide du catalogage des facteurs génétiques qui influencent le risque de maladie du cœur. L’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) a donné le ton en découvrant la première et plus importante variante génétique commune associée à ce jour à la maladie coronarienne. Plusieurs autres variantes ont été découvertes depuis, mais si les chercheurs veulent utiliser ces connaissances pour améliorer la santé des gens ou les aider à rester en santé, ils doivent comprendre comment ces variantes agissent sur le corps et influencent la santé cardiaque.
Un type d’expérience appelée « études d’associations pangénomiques » permet aux scientifiques d’explorer la totalité du code génétique humain pour découvrir de petites variantes communes liées à certaines maladies. Grâce à ces études et à une vaste collaboration internationale, on a pu relier presque 50 de ces variantes génétiques à des aspects de la maladie du cœur, comme l’athérosclérose et la crise cardiaque. Ces variantes appelées « polymorphismes mononucléotidiques »
(SNP – prononcer snips) peuvent soit augmenter les risques qu’une personne développe une maladie du cœur, soit la protéger contre ces risques.
Cependant, les SNP trouvés à ce jour ne représentent que la pointe de l’iceberg de la génétique, explique Ruth McPherson , M.D., Ph. D., directrice du Laboratoire de génomique de l’athérosclérose et de la Clinique des lipides à l’Institut de cardiologie. Comme médecin, la Dre McPherson a traité des milliers de patients et aidé à définir les lignes directrices canadiennes pour le traitement de la dyslipidémie. À titre de chercheuse de laboratoire, elle a fait des découvertes très influentes dans le domaine de la génétique de la maladie du cœur.
Lors du discours d’ouverture prononcé le 1er mai dans le cadre de la conférence annuelle sur l’artériosclérose, la thrombose et la biologie vasculaire de l’American Heart Association, elle rappelait que tous les SNP découverts à ce jour ne permettaient d’expliquer que 10 p. 100 du risque de maladie coronarienne dans la population en général.
Les scientifiques ont estimé que la prédisposition génétique représente jusqu’à 50 p. 100 du risque de maladie du cœur, ce qui signifie que 40 p. 100 du risque global attribuable à la génétique demeure encore inconnu. C’est ce qu’on appelle l’« héritabilité manquante » – la portion héréditaire du risque de maladie du cœur que nous n’avons pas encore élucidée. C’est un mystère qui continue à contrarier les chercheurs en génétique.
« Nous pensons que l’héritabilité manquante découle en grande partie du fait que le risque d’une maladie complexe comme la maladie coronarienne est attribuable à des variantes au sein d’un très grand nombre de gènes qui, individuellement, ont un effet vraiment minime », explique la Dre McPherson dans une entrevue de suivi. Il est peu probable que ces effets très minimes soient découverts parmi des milliers de gènes actifs, même par de vastes études comme les récentes collaborations internationales.
Face à ces nombreux gènes à faible effet qui ne seront probablement jamais identifiés, le laboratoire de la Dre McPherson s’est tourné vers une étude plus holistique de l’incidence de la génétique sur la santé cardiovasculaire, en analysant l’ensemble des voies biologiques et des réseaux cellulaires susceptibles de contribuer à – ou de protéger contre – la maladie du cœur. L’analyse de ces réseaux, qui nécessite de puissantes capacités informatiques accessibles grâce à l’adhésion de l’Institut de cardiologie au consortium Calcul Canada , examine l’ensemble de la situation quant à la manière dont les multiples SNP influencent l’activité des cellules dans le corps.
« Même si on n’arrive pas à établir de liens de manière significative entre des SNP individuels [additionnels] et la maladie, cumulativement nous pouvons constater que des personnes atteintes d’une maladie du cœur ont plus de variantes dans un groupe donné de gènes relevant de certaines voies qui régulent, par exemple, l’inflammation ou l’intégrité des parois des vaisseaux sanguins », dit-elle.
L’étude de l’influence des variations génétiques sur les rouages internes du corps occupera une plus grande partie des travaux effectués au Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy de l’Institut de cardiologie. Cette année, en avril, la Dre McPherson a pris la direction du Centre, succédant à son fondateur Robert Roberts , M.D., qui a quitté ses fonctions de directeur et de président-directeur général de l’Institut de cardiologie en mars.
Le laboratoire de la Dre McPherson a collaboré avec le Centre Ruddy depuis sa création, notamment en 2007 quand le Centre a soutenu son équipe lors de la découverte du locus de susceptibilité 9p21, le tout premier facteur de risque génétique commun découvert pour la maladie du cœur. Elle prévoit diriger le Centre Ruddy vers sa prochaine décennie de découvertes en préservant le lien avec les études pangénomiques, qui ont été sa priorité dans ses premières années d’existence, tout en élargissant son activité afin de découvrir comment les variantes déjà identifiées exercent leur effet sur le corps.
« Je pense que ce que nous avons réussi à faire [avec les études d’associations pangénomiques] est très important. Mais avec les données sur 8 000 à 10 000 personnes dont dispose le Centre pour le moment, on n’a pas beaucoup à gagner à étendre notre base d’échantillons », explique-t-elle.
Avec une exception toutefois : Ruth McPherson est très intéressée à ce que le Centre examine de près les personnes qui se situent aux extrémités du continuum facteur de risque-maladie : les patients sans facteur de risque, mais avec une maladie du cœur grave et précoce, et les patients avec de nombreux facteurs de risque, mais exempts de maladie du cœur. Ce second groupe de patients soulève un intérêt particulier, car leurs génomes sont susceptibles de contenir des variations génétiques aux propriétés protectrices puissantes.
Si ces caractéristiques sont aussi présentes chez les familles de ces patients, c’est encore mieux, explique la Dre McPherson. « De telles familles sont de l’or en barre, car à mon avis nous ne nous limiterons pas à la découverte de simples groupes de variantes génétiques communes à faible impact; nous en viendrons à découvrir des variantes moins communes à fort impact. Ce serait extraordinaire, parce que ça nous donnerait la possibilité d’identifier de nouvelles cibles médicamenteuses. »
La Dre McPherson espère aussi que le Centre explorera de façon plus approfondie l’abondance de données qu’il a déjà recueillies. Puisant des renseignements parmi des milliers d’échantillons, elle prévoit employer de nouvelles approches d’exploration de données mises au point par son laboratoire pour cerner les relations entre les SNP et les sous-types de maladies du cœur – par exemple, artères bloquées avec ou sans crise cardiaque subséquente, calcifications artérielles, resténose de l’endoprothèse et insuffisance cardiaque.
Il y a aussi des études fonctionnelles. « Comprendre le mode d’action des variantes génétiques que nous avons découvertes tiendra nos étudiants, nos postdoctorants et nos chercheurs occupés pendant de très nombreuses années », ajoute-t-elle. Le Centre dispose de plusieurs appareils de pointe pour analyser l’expression génique dans différents types de tissus, incluant le sang, les échantillons de parois artérielles et la peau. Ces appareils permettent aux chercheurs de prendre un SNP qui, par exemple, augmente l’expression d’un gène donné, puis de voir comment cette hyperexpression modifie certaines voies biologiques à l’intérieur de cellules présentes dans une énorme collection d’échantillons conservés par le Centre.
Pour ces grandes analyses fonctionnelles, le Centre devra impérativement poursuivre ses collaborations de longue date avec ses partenaires au Canada et ailleurs dans le monde, notamment avec les instituts de recherche aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne. « Ce type de travail n’a plus rien d’une industrie familiale. Vous pouvez le faire uniquement si vous disposez à la fois des compétences nécessaires et des vastes collaborations à l’extérieur de votre institut », conclut-elle.