Le Dr Marc Ruel a dirigé la Division de chirurgie cardiaque de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa pendant 11 ans. Il a terminé son second mandat le 15 septembre 2023, cédant ainsi la place au Dr Pierre Voisine, qui lui succède dans ce rôle de visionnaire.
Le Dr Ruel a largement façonné l’approche de la Division dans tous les aspects des soins aux patients ou presque. Il a aussi été le moteur de fructueuses recherches translationnelles et cliniques, de la formation chirurgicale avancée et de l’innovation en chirurgie cardiaque.
Dans cet entretien avec The Beat, ce chirurgien cardiaque et ex-président de la Société cardiovasculaire du Canada revient sur plus d’une décennie à la barre de la chirurgie cardiaque dans le centre de cardiologie le plus réputé du pays.
The Beat : Qu’est-ce qui vous a poussé à faire carrière en chirurgie cardiaque?
Dr Marc Ruel : J’ai toujours vu mon rôle de dirigeant comme celui d’un capitaine de navire. Il faut parfois affronter des eaux dangereuses. Il faut garder l’équipe soudée. Il faut savoir naviguer à travers les difficultés et les obstacles, mais aussi en profiter quand les conditions sont bonnes. C’est un côté de la chirurgie cardiaque que j’adore. Quand j’étais encore en formation, chaque opération au cœur ou à proximité du cœur me semblait magique. Encore aujourd’hui, chaque fois que je mets le pied dans une salle d’opération, la magie opère. Ma motivation première demeure la capacité de régler un grave problème de santé et ainsi permettre à quelqu’un de vivre plus longtemps avec une meilleure qualité de vie. C’est un grand privilège qu’on a comme chirurgien cardiaque.
Comment vous sentez-vous maintenant que votre mandat de chef de la Division de chirurgie cardiaque est terminé?
Nous avons bâti une solide division dont je suis extrêmement fier. Nos collègues et le personnel continuent d’appuyer notre mission. Nous offrons un accès rapide à la chirurgie, ce qui permet d’obtenir d’excellents résultats, et nos interventions innovantes prennent appui sur une solide structure de recherche et d’enseignement. Pour moi, c’est la beauté de l’Institut de cardiologie. C’est quelque chose que je n’échangerais pour rien au monde. Ce fut un immense privilège de diriger cette remarquable division réunissant des chirurgiens et chirurgiennes de talent, et des membres de calibre mondial.
Quelles sont les grandes réalisations que vous retenez de vos mandats comme chef de la chirurgie cardiaque?
Au cours de la dernière décennie, les membres de la Division de chirurgie cardiaque ont publié près de 800 articles à titre d’auteurs ou co-auteurs. Nous avons décroché d’importantes subventions pour financer des recherches avant-gardistes. Nous avons été les premiers au Canada à participer à la STS National Database, qui est de loin la base de données médicales la plus complète du monde. Nous avons aussi élargi l’accès à nos services. Nous recevons maintenant des demandes de prise en charge des quatre coins du pays grâce à la nouvelle plateforme que nous avons créée et qui est unique au Canada. Nous sommes le seul établissement à réaliser régulièrement des interventions valvulaires et coronariennes complexes à effraction minimale (ne demandant qu’une petite incision); le premier à s’être doté d’un programme de chirurgie robotisée réservé à la chirurgie cardiaque; le seul à pratiquer régulièrement la réparation des valves mitrales et aortiques. En 11 ans, nous avons enregistré une croissance remarquable du point de vue des interventions structurelles et à cœur ouvert. Nous avons aussi agrandi nos locaux et renforcé notre capacité de fournir les meilleurs soins aux patients en construisant de nouvelles infrastructures chirurgicales — une « tour » de soins intensifs ultramoderne réunissant tous nos services de maintien des fonctions vitales. Nos installations de chirurgie cardiaque sont parmi les plus modernes et innovantes du monde. Ce fut une magnifique aventure. Je suis ravi de tout ce que nous avons accompli ensemble.
Pouvez-vous nous parler des avancées importantes ou des nouvelles techniques de chirurgie cardiaque que vous avez introduites durant vos mandats de chef?
J’ai toujours trouvé que la chirurgie cardiaque, même si elle est efficace, éprouvée et sécuritaire, est très effractive. C’est quelque chose qui m’a frappé dès ma résidence. Pour être honnête, j’étais impatient de changer les choses. C’est un grand bonheur pour moi de vous dire que plusieurs membres de notre division sont aujourd’hui des spécialistes des interventions à effraction minimale. Nous réalisons des centaines de ces interventions chaque année. Notre programme est un chef de file mondial, surtout du côté de la chirurgie coronarienne. Nous avons conçu une technique qui nous permet de réaliser des pontages multiples sans ouvrir le sternum. Cette technique est en train de se répandre pour les interventions coronariennes et valvulaires. Tout le domaine est en train de se réorienter vers des approches moins effractives, et notre institut de cardiologie est l’un des principaux innovateurs sur la scène mondiale.
Comment avez-vous encouragé la collaboration entre spécialistes de différentes disciplines au sein de la Division de chirurgie cardiaque pour mieux soigner les patients, avec de meilleurs résultats?
L’Institut de cardiologie a innové avec le concept d’équipes interdisciplinaires (nos « Heart Teams »), qui consiste essentiellement à réunir des personnes de différentes divisions et spécialités pour mieux prendre soin des patients. Il est important de ne pas travailler en vase clos en médecine, surtout en médecine cardiovasculaire. Notre nouvelle Chaire dotée collaborative Dr T. G. Mesana sur les maladies valvulaires a d’ailleurs deux titulaires : le Dr David Messika-Zeitoun, un cardiologue, et le Dr Vincent Chan, un chirurgien cardiaque. Quand on limite sa réflexion à une seule spécialité, on limite aussi sa perspective. Toutefois, en considérant l’évolution de la maladie dans sa globalité et en réunissant des spécialistes ayant des compétences et des points de vue variés, on obtient des discussions éclairées et centrées sur la meilleure façon de traiter chaque patient. Le travail d’équipe interdisciplinaire est essentiel pour mieux soigner les patients, avec de meilleurs résultats.
Pouvez-vous nous parler d’une initiative que vous avez mise en place récemment et dont vous êtes fier?
Avant la pandémie, nous recevions régulièrement des patients très à risque de Terre-Neuve qui venaient se faire opérer à l’Institut de cardiologie. Pendant la pandémie, c’est devenu impossible, et les patients en ont souffert. Partout en Ontario, y compris à l’Institut de cardiologie, seules les opérations d’urgence étaient permises. En conséquence, les patients de Terre-Neuve ne recevaient pas les soins d’urgence dont ils avaient besoin. Pour remédier à la situation, nous avons envoyé des chirurgiens chevronnés à Terre-Neuve pour réaliser ces opérations. Nous avons établi un programme (en anglais) qui a connu un vif succès. Depuis, un de nos chirurgiens se rend chaque mois à Terre-Neuve pour réaliser des opérations. Nous avons opéré des centaines de personnes à Terre-Neuve et à Ottawa. Aujourd’hui, nos équipes collaborent pour réaliser des interventions complexes ou moins effractives, recruter de nouveaux talents, mener des recherches et former la prochaine génération de chirurgiens.
Pouvez-vous nous parler de recherches ou d’essais cliniques auxquels vous avez participé pendant vos mandats comme chef de la chirurgie cardiaque, et de l’impact de ces projets?
Je suis très fier d’avoir créé le programme de recherche BEaTS (Groupe de recherche de solutions thérapeutiques et de bio-ingénierie), aujourd’hui dirigé de main de maître par les chercheurs Erik Suuronen et Emilio Alarcon. Ce groupe est un superbe exemple de recherche translationnelle. Du côté clinique, j’ai toujours aspiré à rendre les pontages plus sûrs, plus efficaces et moins effractifs. Nous avons publié plusieurs articles qui ont fait date sur le sujet, qui portaient sur la mise au point de la technique de pontage multiple à effraction minimale et qui exploraient des façons d’optimiser la perméabilité des greffons. Récemment, nous avons reçu une subvention de 3 millions de dollars des Instituts de recherche en santé du Canada pour poursuivre ce travail vital. Nous voulons bâtir le meilleur programme de chirurgie coronarienne à effraction minimale du monde. Je sais que l’Institut de cardiologie est le meilleur endroit pour le faire.
Comment avez-vous tissé des liens avec la communauté et promu la cause de la santé cardiovasculaire pendant vos mandats?
J’aime beaucoup faire de la collecte de fonds et raconter l’histoire de l’Institut de cardiologie. Notre programme de chirurgie cardiaque robotisée est un bel exemple de projet qui a vu le jour grâce à l’appui de notre communauté. Ce programme a été entièrement financé par les dons. Notre communauté est un partenaire essentiel : nous lui devons notre réussite et, en toute honnêteté, nous ne pourrions pas faire notre travail sans son appui. Nous espérons que la communauté bénéficie à son tour de notre travail. Chaque don reçu est traité avec respect et utilisé au maximum. Nous sommes très reconnaissants du soutien continu des gens d’ici.
En tant que chef sortant, quels conseils donneriez-vous à votre successeur en ce qui concerne la gestion de la Division de chirurgie cardiaque et le maintien de l’excellence en matière de recherche et de soins?
Toujours faire ce qu’il y a de mieux pour les patients sans se laisser arrêter par quoi que ce soit. La direction et l’infrastructure de l’Institut de cardiologie sont fortement orientées vers l’excellence. Je connais très bien Pierre, et suis convaincu qu’il ne perdra jamais ça de vue. Je résumerais notre culture ainsi : premièrement, donner la priorité au patient. Deuxièmement, traiter notre équipe comme une famille, et se rappeler que nous travaillons tous ensemble à un but commun. Troisièmement, considérer l’Institut de cardiologie comme le foyer de notre famille. C’est ici que notre capacité d’excellence en matière de soins prend sa source.
Pouvez-vous nous parler de l’avenir que vous entrevoyez pour la Division de chirurgie cardiaque? En quoi ces grandes directions ou aspirations feront-elles avancer les soins et la santé des gens?
Le Dr Voisine assumera son nouveau rôle avec des forces et un style qui lui sont propres, et c’est une bonne chose. Nous voulons que la Division de chirurgie cardiaque de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa continue d’offrir les meilleurs soins et se classe parmi les meilleures divisions de chirurgie cardiaque du monde. Je sais que Pierre poursuivra cette mission.
Pour ma part, je crois que le travail accompli ces 11 dernières années aura des effets positifs durables. La réputation de l’Institut de cardiologie est meilleure que jamais, et c’est ce qu’on entend à l’externe sur différentes plateformes. Je suis très heureux de céder la place au Dr Voisine. Je sais que, sous sa gouverne, la chirurgie cardiaque atteindra de nouveaux sommets.
Le Dr Marc Ruel demeurera à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa en tant que chirurgien cardiaque, professeur et titulaire de la chaire de recherche en chirurgie à effraction minimale de la Division de chirurgie cardiaque. Il est déterminé à bâtir le meilleur programme de chirurgie cardiaque à effraction minimale du monde.
Le Beat en un clic
Ce genre de contenu vous plaît? Inscrivez-vous à notre liste de diffusion pour le recevoir directement par courriel.