Des spécialistes des données de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) ont conçu et testé un modèle clinique pour prédire avec précision le risque de décès et d’hospitalisation non planifiée pour les personnes en attente d’une opération au cœur.
On entend par « hospitalisation non planifiée » l’admission urgente à l’hôpital d’une personne atteinte d’insuffisance cardiaque, d’un infarctus du myocarde (crise cardiaque), d’angine instable (douleur thoracique inattendue) ou d’une endocardite (infection de la paroi interne ou des valvules du cœur) alors qu’elle est en attente d’une opération.
Ce modèle vise à faciliter la prise de décision axée sur le patient, à améliorer les résultats cliniques des patients et, en conjonction avec d’autres modèles conçus par le groupe, à optimiser l’affectation des ressources essentielles en soins de santé.
Un ajout au coffre à outils des praticiens et des administrateurs
« Étant donné la situation médicale complexe des patients cardiaques et le risque que leur état de santé se détériore en attente d’une opération, une approche fondée sur les données aide à individualiser les temps d’attente et à faire un triage rapide et efficace », explique la directrice du projet, la Dre Louise Sun, anesthésiologiste cardiaque et chercheuse spécialisée dans les données à l’ICUO, et scientifique auxiliaire à l’ICES (en anglais).
« Notre modèle est un outil de plus pour les médecins, l’équipe de chirurgie et les gestionnaires, car il prédit le risque individuel en fonction du temps. »
- Dre Louise Sun
Une vaste étude qui a des retombées considérables sur les soins aux patients
En utilisant des ensembles de données tirées du registre clinique de CorHealth Ontario (en anglais) et des bases de données administratives de l’ICES sur les soins de santé de la population, la Dre Sun et son équipe ont mené une étude rétrospective sur une cohorte représentative de la population afin de créer et de valider le calculateur. Les résultats ont été publiés dans le Journal de l’Association médicale canadienne (JAMC, en anglais).
Plus de 60 000 résidents de l’Ontario ont été inclus dans l’étude, tous âgés de plus de 18 ans et en attente d’une opération de la valvule aortique, mitrale ou tricuspide, d’un pontage aortocoronarien ou d’une intervention à l’aorte thoracique entre octobre 2008 et septembre 2019.
L’équipe de recherche a divisé au hasard la cohorte de l’étude en deux groupes : deux tiers de la cohorte pour alimenter le modèle et l’autre tiers pour le valider.
En analysant les données, les auteurs de l’étude ont établi les caractéristiques des patients qui, selon eux, présentaient le risque le plus élevé de décès ou d’hospitalisation non planifiée pendant qu’ils étaient en attente d’une opération au cœur.
« Notre analyse a révélé que les patients de sexe masculin, vivant en zone urbaine, présentant des symptômes cardiaques assez graves, traités dans des hôpitaux universitaires et en attente d’une intervention chirurgicale particulière, comme un pontage aortocoronarien, présentaient un risque élevé de décès ou d’hospitalisation non planifiée », explique la Dre Sun.
Le fait de savoir qui sont les personnes les plus à risque aide les équipes de soins à déterminer lesquelles sont les plus susceptibles de bénéficier d’une opération en priorité.
Un instrument d’aide à la décision aussi utile pour les gestionnaires
Carmel Coleman, coordonnatrice du triage en chirurgie et infirmière autorisée à l’ICUO, utilise des variantes du Score de l’attente d’une intervention cardiaque depuis mars 2020.
« C’est devenu un outil essentiel de mon quotidien, affirme-t-elle. Chaque fois qu’un patient est orienté en chirurgie cardiaque, notre équipe soumet son dossier au logiciel avant de l’entrer dans le système et de lui attribuer un score de priorité. »
Grâce à cet outil, Mme Coleman et son équipe peuvent également faire la différence entre les patients qui sortiront rapidement et ceux qui pourraient nécessiter un séjour prolongé à l’hôpital. Ils peuvent ainsi programmer toutes les interventions de manière à assurer un bon roulement et respecter la capacité de l’unité de soins intensifs en chirurgie cardiaque. Il devient alors possible d’opérer un plus grand nombre de patients en évitant le gaspillage de ressources essentielles et en ne retardant pas indûment les patients en attente.
Mme Coleman apprécie en particulier le fait que cet outil procure un moyen efficace et quantifiable de justifier le choix et l’ordre des personnes qui se feront opérer.
« On ne discute pas avec les chiffres, dit-elle. Lorsque les administrateurs peuvent justifier de façon détaillée et rationnelle l’ordre d’opération des patients et appuyer leurs choix par des données concrètes, ils évacuent le stress associé à des décisions aussi importantes. »
Les cas mis à l’horaire sont toujours soumis à la discussion et à l’approbation, en réunion, des chefs de la chirurgie cardiaque et de l’anesthésiologie.
Les machines et les algorithmes sont-ils en train de remplacer l’humain?
Pour la Dre Sun, le calculateur du Score de l’attente d’une intervention cardiaque doit bonifier et non remplacer l’intelligence et l’intuition humaines.
« Le jugement clinique repose sur des années de formation et d’expérience pratique en médecine. C’est une forme d’art qui ne peut pas être tout simplement remplacée par des machines, et qui ne le sera pas, soutient-elle. Toutefois, en utilisant des outils d’aide à la prise de décision fondés sur des données, nous pouvons allouer les ressources de manière judicieuse et prendre des décisions éclairées concernant les personnes choisies pour une intervention chirurgicale et le moment où elles seront opérées. »
Mme Coleman est d’accord : « Les aides à la prise de décision comme celles-ci garantissent à l’équipe soignante, aux patients et à leur famille que les décisions concernant les cas du lendemain sont pleinement justifiées, car elles reposent sur des données concrètes. »
À ce jour, la Dre Sun et son équipe à l’ICUO et à l’IRSS ont conçu des applications et des plateformes logicielles intégrées pour aider les hôpitaux et les régions sanitaires à gérer les listes d’attente, planifier les capacités et établir les horaires durant et après la pandémie.
« Notre équipe de services cliniques utilise un calculateur pour prévoir la durée du séjour dans notre unité de soins intensifs ainsi qu’un outil de gestion de liste d’attente pour trier les patients orientés en chirurgie, explique la Dre Sun. Alors que d’autres centres ont réduit leur volume annuel d’interventions, nous avons presque réussi à maintenir le nombre habituel d’opérations en chirurgie cardiaque tout en gardant suffisamment de lits aux soins intensifs pour les cas de COVID-19. »