Lors du congrès de cette année, plusieurs chefs de file de la médecine cardiovasculaire se sont fermement prononcés sur la crise imminente en soins de santé et la nécessité pour le système de prendre enfin la prévention au sérieux. Ce message a résonné des deux côtés de la frontière et a occupé le devant de la scène lors de la cérémonie d’ouverture.
Lors de sa conférence, le Dr Clyde Yancy a parlé avec passion de « renverser la tendance ». Le chef de la Division de cardiologie à l’Université Northwestern et ancien président de l’American Heart Association (AHA) s’est servi des statistiques américaines pour donner un aperçu du paysage actuel, en insistant sur le fait que la situation canadienne était fondamentalement similaire.
La maladie cardiovasculaire coûte plus de 22 milliards de dollars chaque année en perte de productivité et plus de 300 milliards de dollars en traitement, un montant qui devrait augmenter à 1 billion de dollars d’ici 2030 si l’incidence de la maladie augmente comme prévu. Il s’agit là d’un portrait insoutenable malgré le fait que la mortalité ait chuté de 30 p. 100 depuis les années 1950.
Au sujet de cette baisse, on sait que la moitié est due aux progrès réalisés au chapitre des traitements. L’autre moitié est attribuable aux stratégies de prévention, même s’il n’y a eu aucune véritable campagne de prévention et que les améliorations au chapitre des facteurs de risque ont été modestes. Alors que les épidémies d’obésité et de diabète menacent de renverser ces gains, les occasions de prévention sont immenses.
Le Dr Yancy citait l’exemple d’un essai clinique par répartition aléatoire de 5 ans portant sur le régime méditerranéen. Cette étude a montré qu’un changement de régime pouvait réduire à lui seul l’incidence des maladies cardiovasculaires de 60 p. 100. De plus, il a souligné que 40 p. 100 du fardeau des crises cardiaques est attribuable à l’hypertension et au diabète – deux conditions évitables. Autre élément important en raison du contexte économique précaire, les coûts reliés à la prévention sont largement compensés par les économies dans les dépenses de santé et les gains de productivité.
L’AHA se penche sur un modèle de santé optimale en 7 points comme moyen de réaliser des progrès concrets en prévention de la maladie cardiovasculaire. Les 7 points incluent une situation favorable pour les domaines à risque suivants : tabagisme, poids, régime alimentaire, activité physique, tension artérielle, cholestérol et diabète. Aux États-Unis, seulement 10 p. 100 de la population répond à cette définition de santé optimale. Le Dr Yancy reconnaît qu’atteindre la cible fixée à 20 p. 100 d’amélioration d’ici 2020 demandera un effort concerté et d’intenses initiatives de santé publique.
Le lendemain, une séance sur les politiques publiques, intitulée « Prescrire une médecine de soins cardiaques en Amérique du Nord », a poursuivi sur le thème transfrontalier et revenait sur plusieurs des préoccupations soulevées par le Dr Yancy pour s’engager sur la voie de la prévention. Comme activité de suivi d’un forum de l’American College of Cardiology (ACC) comparant et confrontant les deux systèmes de soins de santé du continent, la séance a rassemblé plusieurs personnalités de premier plan des deux pays, dont le Dr Eldon Smith, ancien président de la Société canadienne de cardiologie (SCC) et porte-parole pour la stratégie nationale en santé cardiovasculaire du Canada, et le Dr Thad Lewis, président du conseil de l’ACC.
Les débats ont porté sur divers sujets, mais plus particulièrement sur les enjeux politiques et professionnels. Bien que les systèmes américains et canadiens puissent s’échanger des avantages et des inconvénients – technologie largement disponible versus temps d’attente pour les interventions, accès universel versus millions de non-assurés –, ils ont en commun deux désavantages, soit l’augmentation vertigineuse des coûts et le manque d’attention accordée à la prévention.
Le message des conférenciers canadiens au sujet du système canadien de soins cardiaques est clair. La fragmentation des soins et la nécessité de rembourser les médecins pour la prévention de la maladie constituent des obstacles majeurs pour notre système. La distinction entre les soins de santé et la promotion de la santé deviendra un enjeu majeur dans l’intégration systématique de la prévention dans les soins. Finalement, constatation décevante, le Dr Smith a été clair, durant ses années de travail en politique publique, aucun palier de gouvernement n’a montré de volonté pour amorcer la discussion et déterminer la meilleure manière de s’attaquer aux problèmes inhérents au système.