Il y a trente et un ans, on ignorait que le cœur produisait des hormones. C’est en 1981 que tout a changé lorsqu’ Adolfo de Bold , Ph. D., a découvert que les cellules musculaires des oreillettes du cœur sécrètent le facteur natriurétique auriculaire (FNA), une hormone essentielle qui régule le volume hydrique, la tension artérielle et le sodium. Depuis cette découverte cruciale, on a publié des milliers d’articles scientifiques sur l’endocrinologie cardiovasculaire et développé des outils diagnostiques et thérapeutiques connexes.
Les 23 et 24 septembre dernier, l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) a accueilli un symposium international, intitulé « Le cœur endocrine : 30 ans plus tard », pour célébrer la découverte de M. de Bold et se pencher sur le passé, le présent et l’avenir de l’endocrinologie cardiovasculaire. Organisé en partenariat avec la Société internationale d’hypertension, cet événement a permis de réunir de grands experts scientifiques d’aussi loin que le Brésil, le Japon et la Nouvelle-Zélande.
Avant de découvrir la fonction endocrinienne du cœur, ce dernier était considéré comme une pompe passive qui se contentait de faire circuler le sang dans l’organisme suivant les instructions du tronc cérébral. On ne pensait pas qu’il exerçait un contrôle hormonal sur le système cardiovasculaire et autres systèmes de l’organisme.
Dans le contexte intellectuel de l’époque, le secteur de recherche de M. de Bold suscitait peu d’engouement et le financement était difficile à trouver. La découverte du FNA est venue couronner 12 années de travail acharné et laborieux avec une équipe de laboratoire qui se composait essentiellement d’Adolfo de Bold lui-même, de sa conjointe Mercedes et d’un technicien.
Le FNA s’est avéré être le premier-né d’une toute nouvelle famille d’hormones, les peptides natriurétiques cardiaques, qui inclut le peptide natriurétique cérébral (PNC) et le peptide natriurétique de type C. Ces hormones cardiaques jouent un rôle de premier plan dans la régulation de la tension artérielle et la croissance du tissu cardiaque, et il a été démontré qu’elles ont une influence sur la plupart des fonctions biologiques connues. Leurs liens avec l’insuffisance cardiaque et l’inflammation en font des cibles attrayantes pour la recherche d’un traitement de la maladie du cœur.
Comme l’a clairement dit l’un des conférenciers du symposium, la ténacité d’Adolfo de Bold a été inspirante. Aujourd’hui, Benoit Bruneau se penche sur les questions de développement cardiaque à l’Institut Gladstone de l’Université de la Californie, à San Francisco. Il a fait ses études doctorales sous la supervision de M. de Bold et a louangé son travail de mentor. Il explique que ce dernier est un bon modèle de ce qu’est un scientifique, incitant ses étudiants à avoir une pensée critique, à poser les bonnes questions et plus important encore, à les approfondir.
Le symposium portait principalement sur ce que nous connaissons des voies génétique et moléculaire impliquées dans la fonction des peptides natriurétiques cardiaques et de leurs répercussions sur le système cardiovasculaire.
Le Dr Michael Gollob et le Dr Haissam Haddad de l’Institut de cardiologie ont parlé de la grande pertinence du FNA en milieu clinique. Le Dr Gollob, directeur de la Clinique d’arythmie héréditaire et du Laboratoire de recherche sur l’arythmie, a traité du lien entre le FNA et la fibrillation auriculaire, la cause la plus fréquente d’arythmie cardiaque.
L’insuffisance cardiaque, à l’image de la fibrillation auriculaire, est un problème de plus en plus répandu dans une population vieillissante. Les coûts de soins de santé associés sont de 4 milliards de dollars annuellement au Canada. Le Dr Haddad, directeur du Programme d’insuffisance cardiaque et directeur médical du Service de transplantation cardiaque, a parlé du rôle du FNA et du PNC dans le traitement clinique de l’insuffisance cardiaque. La mesure des PNC circulants est un outil de diagnostic courant pour cette maladie. Comme l’a mentionné le Dr Haddad, le FNA et les PNC sont des marqueurs indépendants de l’insuffisance cardiaque, de très forts prédicteurs de décès et, utilisés seuls, ils se révèlent aussi bons sinon meilleurs qu’un examen physique du patient à des fins diagnostiques.
Plusieurs conférenciers ont mis l’accent sur les éventuelles applications diagnostiques et thérapeutiques des peptides natriurétiques. Le Dr John Burnett de la Clinique Mayo a décrit son travail sur l’utilisation du FNA et des PNC pour traiter l’insuffisance cardiaque. Aucun nouveau médicament contre l’insuffisance cardiaque n’a été développé en plus de 10 ans, bien que la population de personnes âgées ne cesse de croître. À l’heure actuelle, on utilise le FNA et les PNC pour traiter l’insuffisance cardiaque aiguë en raison de leurs propriétés protectrices (anti‑mort cellulaire) et régénératrices importantes. Cependant, les hormones naturelles ont une très courte demi-vie – quelques minutes à peine – dans l’organisme.
Le Dr Burnett travaille au développement de versions synthétiques qui ne provoqueraient pas l’effet indésirable qu’est l’hypotension excessive, tout en ayant des effets positifs de plus longue durée. Comme ces composés synthétiques imitent des peptides naturels, ils devraient être sûrs et efficaces, a-t-il dit à l’auditoire. Actuellement, un peptide synthétique mis au point par son groupe de recherche fait l’objet d’essais chez les humains, tandis que le groupe poursuit une autre étude sur l’utilisation des peptides natriurétiques auriculaires (PNA) après une crise cardiaque pour prévenir l’insuffisance cardiaque. Le groupe s’intéresse aussi au PNC pour prévenir la fibrose des tissus cardiaques. « Rien de cela ne serait possible sans le travail d’Adolfo », affirme-t-il.
« [M. de Bold] est un bon modèle de ce qu’est un scientifique, incitant ses étudiants à avoir une pensée critique, à poser les bonnes questions et plus important encore, à les approfondir. »
– Benoit Bruneau, PhD, Gladstone Institute and the University of California, San Francisco
L’équipe du laboratoire d’Adolfo de Bold travaille aussi activement sur les analogues thérapeutiques synthétiques du FNA afin de créer des composés pouvant stimuler la régénération du tissu cardiaque pendant des jours, et non des minutes. De tels composés pourraient avoir des applications cliniques pour le traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë et la réparation du tissu cardiaque après une crise cardiaque. À ce jour, elle a rempli une demande de brevet pour un composé prometteur qui fusionne génétiquement le FNA à la sérum-albumine humaine, multipliant jusqu’à 70 fois sa durée de vie dans la circulation.
Adolfo de Bold et ses collègues cherchent aussi à comprendre les facteurs qui contrôlent l’expression génique du PNC, puisque l’hormone semble jouer un rôle important dans le remodelage du muscle cardiaque en présence d’états de stress chroniques comme l’hypertension ou l’inflammation. Ils s’efforcent également de découvrir de quelle façon les forces biophysiques qui dilatent et contractent le muscle cardiaque affectent la sécrétion du FNA et des PNC.
Après plus de 40 ans à sa table de travail, M. de Bold est toujours aussi enthousiaste quant aux possibilités d’exploiter la fonction endocrinienne du cœur pour améliorer le traitement de la maladie du cœur. Il a remercié les participants du symposium pour leur dévouement à l’égard d’un secteur de recherche qui a vu le jour il y a 30 ans à peine.
« Le plus grand honneur d’une vie, c’est probablement de voir son travail reconnu par ses amis et ses collègues. C’est un privilège que cet événement ait été organisé en reconnaissance du travail que nous avons accompli », a-t-il dit à l’auditoire.
En termes scientifiques, l’importance de la découverte du FNA se traduit par près de 27 000 articles indexés dans PubMed sur le sujet. Des dizaines de milliers de chercheurs ont aussi trouvé que le FNA et les hormones connexes étaient un sujet suffisamment intéressant pour s’y consacrer. D’un point de vue clinique, l’arrivée prochaine des peptides natriurétiques synthétiques améliorera grandement la valeur thérapeutique de ces hormones et pourrait influencer des millions de personnes souffrant d’insuffisance cardiaque chronique et d’hypertension.