Les premières études d’association pangé-nomique réalisées chez l’humain pour rechercher des variantes génétiques associées à la maladie du cœur n’ont pas donné les résultats auxquels les chercheurs s’attendaient. En fait, plus des deux tiers des variantes qui ont alors été associées à un risque de maladie du cœur n’étaient pas liées aux facteurs de risque déjà connus comme l’hypercholestérolémie, l’hypertension ou le diabète.
Et depuis que des études plus récentes ont mis au jour d’autres variantes génétiques associées aux cardiopathies, mais toujours sans lien avec les données que nous possédons sur la maladie du cœur, les chercheurs tentent d’élucider la façon dont ces nouveaux facteurs de risque favorisent la survenue et la progression de la maladie.
Une étude récente particulièrement déter-minante nous fournit maintenant les données les plus probantes à ce jour démontrant que l’inflammation joue un rôle important dans la maladie du cœur et qu’un grand nombre de facteurs de risque génétique nouvellement identifiés participent à ce processus. L’étude a été publiée en décembre dernier dans la revue Nature Genetics par le consortium inter-national CARDIoGRAMplusC4D, lequel compte plusieurs chercheurs de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO).
« Essentiellement, la coronaropathie est la manifestation d’un processus normal qui se détraque légèrement, explique Alexandre Stewart, chercheur principal au Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy de l’ICUO et coauteur de la nouvelle étude. Le cholestérol est essentiel à la cohésion de la membrane cellulaire. Or, il doit passer par les vaisseaux sanguins pour se rendre jusqu’aux tissus. Le problème, c’est que s’il y en a trop, il finit par s’accumuler sur les parois des vaisseaux, ce qui déclenche un processus inflammatoire. »
La grande question, c’est de comprendre pourquoi ce phénomène entraîne rapidement une coronaropathie chez certains individus et pas chez d’autres. Environ 85 p. 100 des personnes de plus de 50 ans présentent des plaques liées à l’accumulation de cholestérol sur les parois de leurs vaisseaux sanguins, mais seule une minorité présentera des symptômes de maladie ou sera victime d’une crise cardiaque.
Selon l’article publié, la réponse se trouve dans la façon dont le profil génétique d’un individu façonne la réponse inflammatoire. La présence de certaines variations géné-tiques associées à un système immunitaire moyennement sensible entraîne une réponse inflammatoire relativement modérée à l’accumulation initiale de cholestérol dans les vaisseaux sanguins. Par contre, lorsque le système immunitaire est très sensible, les premières lésions vasculaires déclenchent une forte réponse inflammatoire dont l’effet pervers finit par accentuer les lésions, ce qui favorise la formation de la plaque et la progression de la maladie.
« Je crois que d’ici cinq ans, cet article sera cité comme preuve du lien entre le processus inflammatoire et l’athérosclérose »
– Dr Robert Roberts Président-directeur général, ICUO
« La réponse inflammatoire est un processus utile pour lutter contre une maladie. Lorsque ce mécanisme est puissant, les infections sont contrées avec une grande efficacité. Malheureusement, déplore Alexandre Stewart, dans d’autres types de processus inflammatoires, comme la réponse à la présence de cholestérol dans les vaisseaux sanguins, le mécanisme est amplifié, ce qui cause des dommages collatéraux. »
« Nous avons finalement compris que parmi les gènes répertoriés, nombreux sont ceux dont les effets médiateurs amplifient la réponse inflammatoire », ajoute-t-il.
Pour réaliser l’étude, le consortium CARDIoGRAMplusC4D a recueilli l’ADN de plus de 60 000 patients atteints de coronaropathie et de plus 130 000 sujets qui n’était pas atteints de cette maladie, tous d’origine européenne ou sud-asiatique. Comme dans de précédentes études d’association pangénomique réalisées par le consortium, les chercheurs ont utilisé des « puces à ADN », lesquelles permettent aux scientifiques de rechercher simultanément des milliers de variations géniques dans un même échantillon.
Les résultats ont confirmé l’importance de 31 variantes génétiques déjà associées à la coronaropathie et ont identifié 15 nouveaux facteurs de risque génétique. Les échan-tillons provenant d’un groupe additionnel d’environ 3 600 patients et de 12 000 sujets ne présentant pas de maladie du cœur ont été utilisés pour valider les résultats.
Mais ce qui distingue cette étude des précédentes études d’association pangén-omique à large échelle, c’est l’étape suivante : les chercheurs ont utilisé une technique mathématique appelée « analyse de réseaux » pour déterminer en quoi ces facteurs de risque génétique pouvaient influer sur des voies moléculaires connues, comme celles qui interviennent dans le métabolisme du cholestérol, le mouvement cellulaire et le système immunitaire.
Les trois grandes voies pour lesquelles on a établi un recoupement avec les nouveaux facteurs de risque génétique englobaient toutes des gènes qui interviennent dans le métabolisme du cholestérol; un résultat attendu. Mais sur quatre voies principales, trois englobaient des gènes intervenant dans le processus inflammatoire, notamment la réponse inflammatoire rapide générée par des lésions tissulaires.
Les interférences et les interactions entre le métabolisme du cholestérol et les voies inflammatoires ont une influence potentielle sur les gènes associés à ces deux processus. Par exemple, dans le réseau modélisé, des cellules immunitaires appelées « macrophages » se transforment en cellules spumeuses lorsqu’elles absorbent des particules de cholestérol LDL oxydées, ce qui correspond à l’étape initiale de la formation de la plaque. À leur tour, les cellules spumeuses sécrètent des substances appelées « cytokines », lesquelles stimulent la réponse inflammatoire.
De retour au laboratoire, les chercheurs ont examiné les degrés d’expression des marqueurs d’inflammation dans les échantillons de tissus. « Nous avons observé une corrélation entre un nombre considérable de gènes et l’élévation des marqueurs de l’inflammation, remarque Alexandre Stewart. Cela nous indique que ces variations génétiques n’ont pas uniquement des effets “par association” du fait d’être situées au niveau de locus en cause dans le processus inflammatoire, mais qu’elles augmentent en fait l’expression de certains de ces gènes », poursuit il.
« Je crois que d’ici cinq ans, cet article sera cité comme preuve du lien entre le processus inflammatoire et l’athérosclérose », indique le Dr Robert Roberts, président-directeur général de l’ICUO, également directeur du Centre Ruddy et coauteur de l’étude.
Mais selon Alexandre Stewart, le travail est loin d’être terminé et d’autres études devront être réalisées pour confirmer les données liées à l’expression génique chez les patients. Les chercheurs doivent à présent pousser leurs recherches plus loin pour cerner avec précision les mécanismes inflammatoires qui sont accentués par les variations génétiques. « Si nous arrivons à clarifier cette question, nous pourrons peut-être cibler certains régulateurs ou “points de contrôles” centraux pour prévenir une réponse immunitaire excessive à l’accumulation de cholestérol. »
Le consortium CARDIoGRAMplusC4D poursuit aussi d’autres travaux. Le groupe réalise en ce moment une étude d’association pangénomique visant à mieux comprendre la façon dont la fumée du tabac endommage les vaisseaux sanguins, et prévoit étudier la façon dont certains facteurs épigénétiques – des éléments structurels des chromosomes qui contribuent à l’expression des gènes – contribuent également au développement de la maladie du cœur. « Pris séparément, nos modestes échantillons ne permettent pas de répondre à ces questions, et c’est là que réside la force du grand nombre. La combinaison de toutes ces données permet de tenir compte d’une multitude de variables et de répondre à une foule de questions », conclut Alexandre Stewart.