Note de la rédaction :
Dans le numéro précédent du bulletin The Beat, des membres de la haute direction responsables des soins cliniques à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) ont pris part à une discussion tous azimuts sur l’état de la médecine cardiovasculaire dans un article intitulé « Le paysage changeant de la médecine cardiovasculaire ». Plusieurs des thèmes et des tendances abordés relevaient directement des changements continus observés dans la population de patients. Dans le présent numéro et dans le suivant, nous examinerons plus en profondeur les différents aspects du « visage changeant du patient en médecine cardiovasculaire ».
Le Canada est actuellement en période de changements démographiques fondamentaux qui ne font pas que transformer le visage du pays, ils influencent aussi énormément la nature de la population de patients en médecine cardiovasculaire. Au cours du dernier siècle, l’espérance de vie a considérablement augmenté, tant chez les hommes que chez les femmes, partant d’environ 60 ans dans les années 1920 pour atteindre plus de 80 ans aujourd’hui. Conséquemment, les adultes de plus de 65 ans représentent une proportion croissante de la population canadienne, passant de 5 p. 100 dans les années 1920 à presque 15 p. 100 aujourd’hui, et l’on prévoit même qu’elle dépassera les 20 p. 100 d’ici 2040.
Une population vieillissante à elle seule aurait des implications majeures quant à la prévalence et au traitement de la cardiopathie. Mais en plus, ce changement s’accompagne de tendances en matière de santé qui sont directement liées à plusieurs facteurs de risque de maladie cardiovasculaire. Les nouvelles sont plus mauvaises que bonnes.
L’incidence de l’hypertension a grimpé de 8 p. 100 en nombre de Canadiens de plus de 20 ans qui ont déclaré souffrir d’hypertension entre 1994 et 2005. De plus en plus de Canadiens sont obèses, et la Fondation des maladies du cœur prédisait récemment que d’ici 2015, 20 à 30 p. 100 des hommes et 15 à 18 p. 100 des femmes seraient obèses.
Selon l’Association canadienne du diabète, le nombre de Canadiens qui souffrent de diabète augmentera pour passer d’un peu plus de 3 millions aujourd’hui à plus de 3,7 millions d’ici 2020. « Nous avons indéniablement observé une hausse de la prévalence du diabète au sein de notre population », confirme Bonnie Quinlan, infirmière de pratique avancée en cardiologie à l’ICUO. « Le diabète est si fréquent maintenant chez les patients atteints d’une maladie du cœur que nous faisons des analyses chez chaque patient qui est admis à l’ICUO. Environ 50 p. 100 de nos patients sont diabétiques, et lors des tests faits à l’admission, nous en diagnostiquons environ 10 à 15 p. 100 qui l’ignoraient. »
La seule vraie bonne nouvelle nous vient du côté de l’abandon du tabac. Grâce à des politiques nationales antitabac vigoureuses et à des efforts intenses en faveur de l’abandon du tabac, le nombre de fumeurs dans tous les groupes d’âge continue de diminuer au Canada. En 1999, 21 p. 100 de la population fumait. En 2007, cette proportion avait chuté à 15 p. 100, et l’on prévoit que la tendance se maintiendra.
Les taux d’hospitalisation en raison d’une maladie cardiovasculaire de tout type n’ont cessé de diminuer régulièrement depuis les années 1980, et la maladie du cœur est maintenant passée au 2e rang derrière le cancer, devenu principale cause de décès au Canada. Malheureusement, on ne pense pas que cette tendance positive se maintienne. En raison du visage changeant du patient, la Fondation des maladies du cœur prévoit que le nombre total d’hospitalisations au Canada attribuables à la cardiopathie ischémique, à la crise cardiaque aiguë et à l’accident vasculaire cérébral augmentera considérablement d’ici 2025.
L’Agence de la santé publique du Canada rapporte que le nombre de pontages aortocoronariens, d’angioplasties, d’interventions chirurgicales valvulaires et d’implantations de stimulateur cardiaque a augmenté substantiellement depuis 1995. La hausse du nombre d’interventions valvulaires et d’implantations de stimulateur cardiaque est prévisible avec le vieillissement de la population, tandis que le plus grand nombre de pontages et d’angioplasties explique en grande partie la chute substantielle du nombre de décès dus à une crise cardiaque aiguë au cours des dernières décennies.
« Nous avons observé une véritable révolution dans le traitement des crises cardiaques au début des années 1980 », explique le Dr Haissam Haddad, directeur du Programme d’insuffisance cardiaque et directeur médical du Service de transplantation cardiaque de l’Institut de cardiologie. « La raison principale qui explique que nous voyons maintenant davantage de cas d’insuffisance cardiaque et de patients aux prises avec une cardiopathie plus complexe, c’est l’espérance de vie; la population vieillit tout simplement. »
« La plupart des patients que je vois n’arrivent pas seulement avec un problème d’insuffisance cardiaque. Ils souffrent d’insuffisance car-diaque, d’hypertension, d’hypercholestérolémie et de diabète. C’est la tendance que nous observons en clinique depuis les 10 dernières années », poursuit-il.
Des soins complets
« Aujourd’hui, plusieurs de nos patients sont plus âgés, plus malades, avec plusieurs comorbidités, ce qui pose des défis plus complexes au système de santé ainsi qu’à leur communauté », convient Bonnie Quinlan.
En réplique, « plusieurs de nos approches sont devenues multidisciplinaires par nature. Maintenant, lorsque des patients sont admis à l’hôpital, ils ne voient pas que le médecin traitant et l’infirmière, mais tous les membres de l’équipe qui sont en mesure de répondre à leurs besoins de soins, explique-t-elle. Prenons par exemple les patients atteints d’insuffisance cardiaque – une grande proportion des patients hospitalisés à l’ICUO; ils souffrent d’une maladie chronique pour le reste de leur vie, et cette maladie nécessite une prise en charge médicale et un mode de vie particuliers afin d’en maîtriser les effets. »
« Ces patients sont tous vus non seulement par leur infirmière de pratique avancée et leur cardiologue, mais également par des spécialistes d’autres disciplines. On peut ainsi s’assurer qu’ils comprennent comment s’alimenter, avec les bons apports en aliments et en liquides, pour prévenir une réadmission à l’hôpital. Ils rencontrent quotidiennement un physiothérapeute qui veille à ce que leur condition physique générale ne se détériore pas. »
Les maladies chroniques de ce type nécessitent une approche multidisciplinaire associée à des systèmes et des processus en place pour que les patients soient traités de manière uniforme. À l’Institut de cardiologie, l’éducation des patients et le télémonitorage sont des outils importants pour garder les patients atteints d’insuffisance cardiaque hors de l’hôpital. « Nous leur apprenons à reconnaître les signes et les symptômes qui pourraient nécessiter un changement dans leurs médicaments, explique Mme Quinlan. Et nous travaillons en étroite collaboration avec le programme de télémonitorage, de sorte que quand les patients rentrent à la maison, nous pouvons continuer à les surveiller et à réagir pour corriger les choses en cas de besoin afin de réduire la probabilité de réadmission à l’hôpital. »
Selon le Dr Haddad, les soins pour les patients plus âgés atteints de maladies cardiovasculaires se sont améliorés au cours des dernières années grâce aux nouveaux médicaments, aux progrès technologiques et aux techniques chirurgicales novatrices. « Par exemple, on pratique maintenant des pontages coronariens ainsi que des réparations et des remplacements valvulaires chez des patients âgés atteints d’un grave dysfonctionnement du ventricule gauche qui, par le passé, n’auraient pas été des candidats à la chirurgie. Nous traitons également des comorbidités comme le diabète, l’hypertension et l’ischémie. »
Une autre option très avantageuse pour les patients plus malades, selon le Dr Haddad, est le défibrillateur automatique implantable (DAI), qui peut surveiller les rythmes cardiaques anormaux et envoyer une impulsion pour rétablir le rythme normal. L’utilisation de ce traitement de resynchronisation cardiaque chez des patients choisis améliore également les taux de survie et la qualité de vie.
« Avec tout ce qui est dit précédemment, il n’y a pas de limite d’âge pour de telles interventions; en fait, nous basons nos décisions sur les comorbidités, et non sur l’âge. Même dans le cas d’une transplantation cardiaque, notre décision repose sur les symptômes, les comorbidités et les possibilités que le résultat soit positif, explique-t-il. Le patient tirera-t-il parti de cette intervention? Les données le confirment-elles? Si oui, quand intervenons-nous? »
Vers des soins holistiques
La prévalence accrue des facteurs de risque de maladie du cœur vient toutefois faire contrepoids aux améliorations technologiques. L’augmentation des facteurs de risque dans la population a intensifié le besoin de mieux informer et former les patients et les familles, explique Mme Quinlan. « L’hospitalisation est un moment idéal pour faire de l’éducation, et pas seulement auprès des patients, mais également auprès de leur famille », ajoute-t-elle.
« J’encourage toujours les membres de la famille à assister aux cours sur la prévention des maladies coronariennes que je donne ici tous les jours. Ainsi, nous faisons de la prévention primaire et de la prévention secondaire, en espérant retarder l’arrivée des prochaines générations dans notre système de soins. Je pense que c’est là que nous devrions concentrer davantage nos efforts et mettre à profit la présence des patients pour rejoindre les gens qui les entourent », poursuit-elle.
L’éducation dans ce contexte nécessite invariablement plus qu’une simple revue des facteurs liés au mode de vie. « Les gens posent souvent des questions sur leurs risques génétiques, explique Mme Quinlan. Nous avons tous des antécédents familiaux et génétiques de quelque chose. Pour bien des gens, c’est la maladie du cœur. Notre approche en pratique clinique, c’est de leur dire ce qui suit : “Oui, vous avez une prédisposition à la maladie coronarienne (par exemple), mais vous pouvez faire beaucoup pour influencer l’évolution de la maladie en maîtrisant ces autres facteurs de risque”. La recherche a montré que dans toutes les populations de patients, il est possible de réduire considérablement le risque en gérant étroitement les facteurs de risque modifiables. Et ça, c’est un message important pour les patients. »
Quand les patients plus âgés quittent l’Institut de cardiologie, ils sont souvent confrontés à un autre défi que peu de patients plus jeunes connaissent, et c’est l’isolement. « Notre traitement médical est bien meilleur qu’il y a 10 ans, mais les besoins de nos patients ne sont pas que médicaux, souligne le Dr Haddad. Si nous recevons un patient de 85 ans atteint d’insuffisance cardiaque, d’un point de vue médical, nous pouvons le stabiliser de la même manière qu’un patient de 50 ans.
Cependant, ces personnes vivent le plus souvent seules; elles n’ont pas le soutien que peuvent avoir les gens plus jeunes. »
« Il ne suffit pas de voir un patient tous les trois ou six mois et de lui donner certaines indications. Les gens qui peuvent compter sur une personne soignante qui surveille leur alimentation et leurs médicaments se remettent beaucoup mieux que ceux qui vivent seuls, qui ne savent pas très bien ce qu’ils doivent manger ou s’ils doivent faire de l’exercice », poursuit-il.
« Nous devons revoir notre infrastructure afin d’offrir le soutien nécessaire à la population vieillissante qui souffre de maladies chroniques. Je pense que c’est plus important maintenant que de dépenser de l’argent pour des installations de soins actifs. Nous devons avoir une équipe de gestion des maladies chroniques qui offre du soutien dans le milieu de vie, qu’il s’agisse du domicile du patient, de celui d’un membre de la famille ou d’un centre d’hébergement. Avec un meilleur soutien, je pense que le résultat serait nettement supérieur pour cette population de patients. »
Une approche holistique de soins pour les patients en médecine cardiovasculaire sera encore plus nécessaire dans un proche avenir, car la maladie du cœur continue à progresser de sa forme aiguë, souvent mortelle, à sa forme chronique qui doit être prise en charge pour le reste de la vie du patient; une maladie chronique avec une prévalence croissante dans la population canadienne.
Outre la nécessité d’une plus grande éducation et d’un meilleur soutien intégré au milieu de vie hors de l’hôpital, une approche globale peut aussi inclure un recours étendu aux soins palliatifs dans le domaine ainsi que le recrutement d’un plus grand nombre de spécialistes du traitement des maladies chroniques en général. « Du point de vue du cardiologue, l’insuffisance cardiaque est la maladie de l’avenir, et nous aurons besoin d’une approche collective pour la traiter avec succès », conclut le Dr Haddad.