Les poissons gras doivent faire partie d’une alimentation saine pour le cœur, selon une recommandation en partie fondée sur une étude phare publiée dans les années 1970. Dans cette étude, les chercheurs danois Hans Olaf Bang et Jørn Dyerberg ont associé la faible incidence de maladie coronarienne chez les Inuits du Groenland (désignés par le terme « Esquimaux » dans l’étude) à leur alimentation riche en graisse de phoque et de baleine. Des chercheurs de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) ont réexaminé cette étude et ont constaté que les Inuits avaient souffert de maladie coronarienne dans les mêmes proportions que leurs homologues de race blanche; cela signifie que les preuves sont insuffisantes pour soutenir les affirmations de Bang et Dyerberg.
En se basant sur 40 ans de nouvelles données et recherches, une équipe de chercheurs a voulu réexaminer l’étude de Bang et Dyerberg sur les Inuits du Groenland et la maladie coronarienne. Cette étude est encore largement citée de nos jours quand il est question de recommander des suppléments d’huile de poisson (comme les acides gras oméga-3) ou de poissons gras pour prévenir les problèmes de santé cardiovasculaire. Toutefois, le nouvel examen des données, publié dans le Journal canadien de cardiologie, a révélé que Bang et Dyerberg n’avaient pas vraiment enquêté sur la santé cardiovasculaire de la population inuite et que la conclusion que ce type d’alimentation avait un effet cardioprotecteur n’est pas fondée.
« Les premières études de Bang et Dyerberg dans les années 1970 sont souvent invoquées comme “preuves” de la faible prévalence de la maladie coronarienne chez les Esquimaux du Groenland, ignorant le fait que ces deux chercheurs danois n’avaient pas étudié la prévalence de la maladie coronarienne », explique le chercheur principal George Fodor , M.D., Ph. D., chef récemment retraité de la recherche pour le Centre de prévention et de réadaptation Minto à l’Institut de cardiologie. « Leur recherche s’est plutôt penchée sur les habitudes alimentaires des Esquimaux, et l’idée qu’un apport élevé en graisses d’origine marine exerce un effet protecteur sur les artères coronaires n’était que spéculation. »
Bang et Dyerberg se sont appuyés essentiellement sur les rapports annuels du médecin-chef du Groenland pour confirmer les décès d’origine coronarienne dans la région. La nouvelle étude a mis au jour un certain nombre de raisons pour lesquelles le recours à ces dossiers n’était pas suffisant, notamment la nature rurale et inaccessible du Groenland qui rendait difficile la tenue de dossiers précis. En fait, les chercheurs ont maintenant découvert que des questions avaient déjà été soulevées au sujet de la validité des certificats de décès du Groenland dans plusieurs rapports différents, et que 20% des certificats de décès avaient été remplis sans qu’un médecin ait examiné le corps.
Les données recueillies lors de cette nouvelle enquête montrent que la prévalence de la maladie coronarienne chez les Inuits est similaire à celle des populations non inuites, et qu’en fait, les Inuits ont des taux très élevés de mortalité attribuables aux accidents vasculaires cérébraux. Dans l’ensemble, leur espérance de vie est inférieure d’envi-ron 10 ans à celle de la population danoise, et leur mortalité globale est 2 fois plus élevée que celles des populations non inuites.
Plusieurs études récentes bien conçues et de grande envergure ont montré des résultats ambigus ou négatifs quant aux propriétés cardioprotectrices des acides gras oméga 3 et des suppléments d’huile de poisson. Pourtant, en partie en raison des travaux de Band et Dyerberg, ils sont encore largement recommandés dans le cadre d’une alimentation saine pour le cœur.
« Les publications qui font encore référence aux études nutritionnelles de Bang et Dyerberg pour prouver que les Esquimaux avaient une faible prévalence de maladie coronarienne témoignent d’une mauvaise interprétation des constatations d’origine ou d’un raisonnement partial [la tendance à favoriser des données qui confirment nos croyances ou hypothèses], conclut le Dr Fodor. À ce jour, plus de 5 000 articles ont été publiés au sujet des prétendues propriétés bénéfiques des acides gras oméga-3, sans parler de l’industrie d’un milliard de dollars qui fabrique et vend des capsules d’huile de poisson en se basant sur une hypothèse contestable depuis le début. »