« Nous avons beaucoup de chemin à faire avant de vaincre la maladie du cœur », déclare le Dr Peter Liu, nouveau directeur scientifique à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO). Malgré les soins à la fine pointe dont nous disposons, les médecins ne sont toujours pas en mesure de restaurer le cœur et les vaisseaux sanguins à leur état fonctionnel original après une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral ou une insuffisance cardiaque.
« Comment pouvons nous arriver à vraiment guérir les patients? » se demande le Dr Liu. Après une crise cardiaque, les patients retournent encore chez eux avec une cicatrice et ils peuvent finir par développer une insuffisance cardiaque. Quand les patients présentent des rythmes cardiaques dangereux, nous leur posons un défibrillateur cardiaque, mais cela ne guérit pas pour autant le problème sous-jacent. De même, 70 ans après la découverte de l’insuline, nous ne connaissons toujours pas la cause du diabète. Nous disposons donc de technologies de demi-mesure et non de véritables stratégies curatives. »
Le Dr Liu est une figure de proue dans la communauté cardiovasculaire, ayant occupé des postes importants dans les domaines de la recherche et de l’administration, y compris, plus récemment, le poste de directeur scientifique à l’Institut de la santé circulatoire et respiratoire des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Auparavant, il était directeur de la Fondation des maladies du cœur/Centre d’excellence Richard Lewar en recherche cardiovasculaire à l’Université de Toronto. Dans son nouveau rôle, il aidera l’Institut de cardiologie à diriger une activité de recherche qui a rapidement pris de l’ampleur au cours des dix dernières années sur les plans du financement, de sa portée et de ses retombées. Un éventail de percées majeures, de publications de premier plan et de classements récents reflète un profil bien établi à l’échelle nationale et de plus en plus important sur la scène internationale.
« L’Institut de cardiologie se mesure aux meilleurs, déclare le Dr Liu. Les gens de l’Institut ont un bon esprit de corps, ils ont des buts communs et sont très talentueux. C’est un endroit où l’on prodigue des soins très sophistiqués. Je veux que nous dé-ployions des efforts sérieux pour devenir chefs de file en matière de recherche à l’échelle internationale. Lorsque les gens se demandent d’où émergeront les prochaines innovations en médecine cardiovasculaire, je veux que tout le monde se tourne vers Ottawa. »
Pour l’élaboration d’un nouveau plan stratégique de recherche, le Dr Liu travaille étroitement avec la communauté de chercheurs de la région d’Ottawa pour solliciter leurs commentaires et conseils. Ce plan stratégique mettra à profit les forces et réussites dans divers domaines, notamment : médecine génomique, athérosclérose, imagerie, programmes communautaires de prévention et médecine régénérative. Par ailleurs, de nouveaux champs d’intérêt, comme l’insuffisance cardiaque, l’obésité et le syndrome métabolique, l’inflammation et la dynamique des protéines, bénéficieront d’une attention particulière, tout comme la médecine personnalisée de précision.
Pour en arriver à une véritable innovation en recherche, le Dr Liu encourage la collaboration avec les chercheurs des domaines moins souvent associés à la médecine cardiovasculaire, tels que la nanotechnologie, l’administration ciblée de médecins, les études cliniques fondées sur les marqueurs biologiques et même la santé mondiale. Il cite de récentes discussions avec les scientifiques du Conseil national de recherches du Canada qui créent de minuscules anticorps conçus pour transporter les médicaments à tra-vers les membranes cellulaires. Par ailleurs, le Dr Liu est à la tête d’un projet financé par les IRSC et la Fédération mondiale du cœur qui utilise des systèmes de rappel par cellulaire pour améliorer la maîtrise de la tension artérielle dans les communautés autochtones canadiennes et dans les pays d’Afrique.
Bien que la nanotechnologie et la santé mondiale soient des domaines disparates, ils comprennent des composantes qui pourraient se transposer et s’appliquer efficacement à la médecine cardiovasculaire au Canada, explique-t-il. « Au sein d’une même discipline, l’innovation émerge très lentement. Toutefois, l’interapplication d’idées et d’outils, d’une discipline à une autre discipline complètement nouvelle, peut accélérer l’innovation. »
En plus d’être directeur scientifique à l’Institut, le Dr Liu est cardiologue. Au début de sa carrière, il a fait sa résidence en ima-gerie cardiaque et en immunologie à l’Hôpital général du Massachusetts de l’École de médecine Harvard. En fait, il y a complété sa formation avec un autre cardiologue de l’Institut de cardiologie, soit le Dr Terry Ruddy, qui a récemment quitté ses fonctions de chef de division. En tant que clinicien, le Dr Liu se joindra aux équipes d’insuffisance cardiaque et d’imagerie. « Il est important d’être sur la ligne de front avec les patients, ajoute‑t-il. Travailler avec les patients éclaire mes travaux de recherche. C’est ainsi que nous pouvons nous familiariser avec les problèmes urgents qui réclament des réponses et avec les pathologies qui nécessitent de nouveaux diagnostics et traitements. »
Son laboratoire examine actuellement comment la réponse inflammatoire de l’organisme contribue à la maladie du cœur. L’équipe utilise un modèle de souris dont la réponse inflammatoire a été altérée génétiquement afin d’explorer ce lien. « Nous avons notamment été surpris de découvrir que ces animaux, dont certains commutateurs immunitaires avaient été inactivés, pouvaient afficher des taux de cholestérol très élevés occasionnés par un régime alimentaire occidental, tout en ayant des artères parfaitement saines, explique-t-il. Le principal déterminant des effets néfastes sur la santé n’est pas le cholestérol comme tel, mais bien la façon dont l’organisme réagit à la présence du cholestérol. »
« Nous essayons donc de déterminer ce qui constitue une réponse favorable à l’hypercholestérolémie et ce qui représente une réponse négative », ajoute-t-il. Son équipe teste de nouveaux vaccins pour prévenir la réponse inflammatoire chronique au cholestérol, ainsi que d’autres facteurs déclencheurs de lésions dans l’appareil circulatoire.
Toutefois, une nouvelle partie importante de sa recherche repose sur le domaine émergent de la protéomique, soit l’étude à grande envergure de la structure et des fonctions des protéines, et de la façon dont ces dernières modulent le fonctionnement interne des cellules, particulièrement en ce qui a trait à l’insuffisance cardiaque. Il considère ce travail comme étant complémentaire aux recherches génomiques réalisées à l’Institut de cardiologie. « Une fois que les gènes contribuant à une maladie ont été identifiés, il faut en connaître les fonctions. Or, l’étape suivante consiste à étudier les protéines produites par ces gènes », affirme le Dr Liu.
« La protéomique nous aide à identifier de nouveaux marqueurs biologiques dans le sang, l’urine et la respiration, et à cibler des moyens de diagnostiquer la maladie et de prédire la réponse au traitement. Les protéines qui ont été identifiées peuvent ensuite être radiomarquées pour cerner leur emplacement et leurs fonctions à l’aide de l’imagerie, et peuvent nous aider à établir des cibles thérapeutiques, poursuit-il.
« Les gens associent l’insuffisance cardiaque à la mort des cellules cardiaques, explique le Dr Liu. Or, nous avons découvert que les anomalies des protéines sont la principale raison de la défaillance cardiaque. » Puisque les cellules cardiaques se multiplient rarement, elles vivent plus de 60 ans et peuvent accumuler avec le temps d’importantes erreurs dans leurs protéines.
« Les lésions au cœur et le stress altèrent les protéines. Or, lorsque ces protéines altérées ne peuvent pas être réparées ou recyclées, elles s’agglomèrent ou inhibent les fonctions normales des protéines. Nous avons remarqué que les protéines deviennent très collantes dans les cellules cardiaques âgées ayant subi des lésions et qu’elles finissent par nuire aux fonctions normales des cellules. Elles peuvent même entraîner la mort précoce des cellules cardiaques, affirme-t-il. Les gens n’avaient encore jamais envisagé l’insuffisance cardiaque, ou la maladie du cœur en général, de cette façon. »
Avec l’amélioration continue de la techno-logie dans les domaines de la protéomique, de la nanobiologie, des biocapteurs et des nouveaux outils thérapeutiques, le Dr Liu s’attend à ce que la prochaine décennie soit particulièrement intéressante. « Jusqu’à présent, notre compréhension de ces maladies s’est faite par tâtonnement, mais je crois que nous disposons enfin des outils qui nous permettent de regarder en quelque sorte “sous le capot” et de voir exactement ce qui ne va pas avec le cœur et les vaisseaux sanguins. Nous pouvons maintenant développer de nouvelles avenues et solutions que nous ne pouvions nous imaginer il y a dix ans. »