Au cours des dernières années, les taux d’obésité ont augmenté à un point tel que les personnes de poids normal sont maintenant une minorité au Canada. Et le problème s’aggrave avec l’âge : 16 p. 100 des adultes âgés de 20 à 39 ans sont obèses, tandis que chez leurs homologues âgés de 60 à 79 ans, le pourcentage atteint 33 p. 100. Cette tendance vers une population plus lourde a des répercussions sur les soins et la recherche à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO).
L’obésité est un facteur de risque d’hypertension, de diabète et d’hypercholestérolémie, qui jouent tous un rôle dans la maladie du cœur.
L’obésité est liée à la maladie du cœur aussi bien directement qu’indirectement, explique le Dr Frans Leenen, directeur de la Clinique d’hypertension et de la recherche sur l’hypertension à l’Institut de cardiologie. Directement, du fait que dans un corps plus gros, le cœur doit travailler plus fort pour amener le sang à tous les tissus qui en ont besoin. À un certain moment, comme pour n’importe quelle pompe, la surcharge peut surmener le cœur. La cardiopathie est le signal indiquant qu’il ne peut tout simplement plus faire son travail.
Indirectement, l’obésité est un facteur de risque d’hypertension, de diabète et d’hypercholestérolémie, qui jouent tous un rôle dans la maladie du cœur. Le problème s’en trouve alors aggravé – les personnes obèses présentent un risque de maladie du cœur non seulement en raison de leur taille, mais parce qu’elles développent ces autres problèmes de santé.
« Ça peut prendre du temps avant que l’un de ces problèmes se manifeste, explique le Dr Leenen. Vous pouvez être une personne obèse en santé. Mais, les chances de rester en santé diminuent en même temps que votre poids augmente. »
Avec la collaboration du Dr George Fodor, un collègue de l’Institut de cardiologie, le Dr Leenen a sondé la population de l’Ontario pour déterminer comment le poids corporel et l’hypertension sont interreliés. Il a découvert que la prévalence de l’hypertension augmentait parallèlement à l’augmentation de l’indice de masse corporelle (IMC, une mesure de la composition corporelle) et de l’âge. Chez la population de plus de 60 ans, 36 p. 100 des personnes minces souffraient d’hypertension comparativement à 68 p. 100 chez les personnes obèses. Les taux de diabète augmentaient de la même manière chez les personnes de plus de 60 ans, parallèlement à l’augmentation de leur IMC.
« Il y a une épidémie d’obésité, affirme le Dr Leenen. Et on retrouve de plus en plus de personnes obèses à l’Institut de cardiologie. » Il souligne que le nombre croissant de patients obèses a nécessité des adaptations pour répondre à leurs besoins. Il y a maintenant des fauteuils plus larges, et les médecins utilisent plus souvent les cuissards (brassards de cuisse) autour du bras au lieu des brassards classiques pour prendre la tension artérielle afin de s’assurer qu’ils s’ajustent bien.
Les patients obèses ont souvent un profil de santé plus complexe en raison de la présence de facteurs complexifiant comme le diabète. Dans de tels cas, les médecins sont susceptibles d’être plus pugnaces pour traiter l’hypertension ou l’hypercholestérolémie en raison du risque accru de maladie du cœur. L’arthrose est un autre état coexistant fréquent attribuable à la tension physique que l’excès de poids impose aux articulations; il nécessite un autre médicament, ajoutant une autre possibilité d’interaction médicamenteuse au mélange. « L’ensemble du schéma posologique devient alors plus complexe », précise le Dr Leenen.
Au Laboratoire de cathétérisme, les patients très obèses sont plus à risque de complications lorsqu’il faut insérer un cathéter dans l’aine, le site habituel d’insertion pour une angioplastie et l’implantation d’une endoprothèse. L’an dernier dans le cadre des séances scientifiques de l’American Heart Association, le Dr Edward O’Brien, cardiologue interventionniste à l’Institut de cardiologie, a présenté les résultats préliminaires de sa recherche sur l’accès par l’artère radiale (poignet).
L’équipe du Dr O’Brien a constaté que le recours à la technique de l’artère radiale réduisait les complications chez les patients présentant un IMC de 40 ou plus. La plage normale de l’IMC va de 18 à 24,9. Les chercheurs analysent actuellement un plus large échantillon de 21 000 patients de l’Institut de cardiologie, dont 12 p. 100 ont subi un cathétérisme par voie d’accès radiale afin de voir si ces résultats se maintiennent. Dans l’ensemble, « l’obésité crée d’énormes problèmes de santé », explique le Dr Leenen. Il croit que la société doit adopter une position forte à l’égard de l’obésité et prendre des mesures pour endiguer l’épidémie en apportant des changements qui favorisent l’activité physique et une saine alimentation. « Nous n’acceptons plus le tabagisme. Nous ne devrions pas accepter l’obésité comme une variation normale. Nous devons nous efforcer de la faire régresser. On peut s’attaquer à une foule de facteurs pour rendre la vie moins sédentaire. » Il croit toutefois que la meilleure manière de s’attaquer à l’obésité, c’est de la prévenir.
La Dre Ruth McPherson approuve. À titre de directrice du Laboratoire de génomique de l’athérosclérose et de la Clinique des lipides à l’Institut de cardiologie, elle constate aussi que la majorité de son temps est consacrée à l’obésité. Elle dirige actuellement une vaste étude avec le Dr Robert Dent, directeur médical de la Clinique de gestion du poids à L’Hôpital d’Ottawa (L’HO). Ils ont obtenu une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour se pencher sur les facteurs génétiques mis en cause dans l’obésité.
Les gènes jouent un rôle important dans l’obésité, tout comme les facteurs environnementaux tels que l’alimentation et l’activité physique. Cependant, précise-t-elle, les deux travaillent de pair de façons insidieu-ses. « Si une personne est active physiquement, elle est beaucoup moins susceptible de souffrir d’obésité, et ce, même si son risque génétique est élevé », explique-t-elle. Toutefois, lorsqu’il y a une importante prédisposition génétique à l’obésité, il est plus difficile de maintenir un poids corporel normal dans un monde où dominent les voitures et les ordinateurs, qui ont pour effet de réduire l’activité physique.
Même quand des personnes obèses suivent un régime extrêmement hypocalorique, on observe des variations énormes quant au poids qu’elles perdent. Selon la Dre McPherson, la responsabilité en revient essentiellement à leurs gènes.
Alors, bien que la Dre McPherson partage l’avis du Dr Leenen, à savoir qu’une population plus active qui mange sainement contribue grandement à prévenir l’obésité, elle insiste pour dire qu’il faut aussi porter attention aux différences entre les individus qui les rendent plus ou moins susceptibles de prendre du poids.
Selon elle, il existe à l’heure actuelle peu de bons traitements contre l’obésité. Mais, identifier les facteurs génétiques qui sont à la base de l’obésité permettra d’intervenir plus tôt auprès des personnes fortement prédisposées à la prise de poids ou à la perte négligeable de poids afin de promouvoir un mode de vie sain et actif et, nous l’espérons, prévenir l’obésité. Cette information génétique peut aussi aider à savoir quand des traitements comme la chirurgie bariatrique sont nécessaires. Si on établit que la constitution génétique d’une personne altère la réponse à un régime et à l’exercice, la chirurgie peut alors devenir une option.
La Dre McPherson a toutefois souligné qu’il y a des nouvelles encourageantes. Les chiffres relatifs à l’obésité semblent plafonner depuis les quatre ou cinq dernières années. « Ces données sont très rassurantes, dit-elle. Mais, il y a encore une large proportion de personnes obèses qui doivent être traitées. »