Dans les années 1950, l’information communiquée aux femmes au sujet de la maladie cardiaque renfermait principalement des conseils pour aider leur mari à se remettre d’une crise cardiaque. On peut dire qu’on est rendus ailleurs...
En effet, comme on a pu l’apprendre lors du Sommet sur la santé cardiaque des femmes (SCSCF) qui a eu lieu en avril à Ottawa, d’immenses progrès ont été réalisés depuis cette époque. Il en reste toutefois beaucoup à faire. Pas question de s’asseoir sur nos lauriers.
Les conférenciers, qui présentaient tour à tour les résultats de leurs recherches et partageaient leurs expériences cliniques, ont déterminé quelles étaient les mesures à prendre pour mieux prévenir, diagnostiquer et traiter la maladie du cœur chez les femmes, peu importe leur origine ethnique ou leur groupe socioéconomique.
Recherche : Place aux femmes!
Dans le passé, les femmes ont tristement été laissées à l’écart des recherches sur les maladies cardiovasculaires. Ainsi, puisque les professionnels se fient à des études menées principalement auprès d’hommes, le cœur des femmes se retrouve moins bien compris et encadré. Et les femmes qui font partie de minorités ethniques ou qui sont désavantagées sur le plan socioéconomique sont celles à qui la situation nuit le plus.
Les conférenciers ont été clairs : la recherche en cardiologie doit changer et inclure plus de femmes, à la fois avec et sans sarrau.
Nanette Wenger, MD, de l’Université Emory, en Géorgie, a dénoncé le fait que les femmes sont tenues à l’écart des essais cliniques, tout comme les adultes plus âgés, soulignant que cela les désavantageait de plus belle. Après tout, elles vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. Et elles développent des maladies cardiaques plus tard au cours de leur vie. Toutefois, une loi vient d’être adoptée aux États-Unis, ce qui devrait garantir, selon la Dre Wenger, l’inclusion des femmes et des minorités dans les recherches en santé. Les résultats pourront bientôt servir, espérons-le, à améliorer la santé des femmes.
Selon Dre Wenger, nous devons en apprendre davantage sur l’impact de l’âge, de l’environnement hormonal, de l’historique de reproduction, des problèmes inflammatoires et d’autres déterminants psychosociaux sur les maladies cardiovasculaires chez les femmes. De nombreuses pistes doivent être explorées :
- Comment la qualité de la prévention, des procédures diagnostiques et de la réadaptation est influencée par les différences dans les symptômes et l’accès aux services de soins.
- La maladie cardiovasculaire chez les jeunes femmes et chez les femmes faisant partie de minorités ethniques.
- Quelles sont les meilleures méthodes de dépistage, de traitement et de prévention de la maladie cardiaque chez les femmes?
- Quelles sont les variables biologiques qui influencent le développement de la maladie cardiaque et les résultats cliniques chez les femmes?
L’augmentation de l’incidence des crises cardiaques – et des crises cardiaques fatales – chez les jeunes femmes doit également être mieux comprise. Selon la Dre Wenger, ces décès annoncent d’ailleurs une bien mauvaise tempête.
L’épidémiologiste de l’Université McGill, Louise Pilote, MD, Ph. D., mène actuellement une étude sur les femmes qui subissent des crises cardiaques avant l’âge de 55 ans. Dans le cadre de cette étude, appelée GENESIS-PRAXY, on a découvert que chez les femmes plus jeunes, les changements hormonaux et les problèmes médicaux liés à la grossesse, comme la prééclampsie, peuvent être des indicateurs de risque d’une maladie cardiaque future. On n’en connait toutefois pas suffisamment sur les mécanismes de ces prédispositions.
Faire davantage de recherche, ce n’est qu’une partie de la solution, selon Sharon Straus, MD, de l’hôpital St Michael’s, à Toronto. Mettre en application les connaissances déjà acquises est également crucial.
La prévention : comprendre les facteurs de risque
Selon Sonia Anand, MD, Ph. D., de l’Université McMaster, les défis principaux, au cours des prochaines années, ne concernent pas les soins actifs à l’hôpital, mais plutôt l’encadrement des femmes avant le diagnostic et après le traitement en les encourageant notamment à modifier leur style de vie et à respecter leur médication.
Dre Anand a fait remarquer que les cinq principaux facteurs de risque de la maladie du cœur – le cholestérol, le tabagisme, l’hypertension artérielle, le diabète et l’obésité abdominale – étaient les mêmes chez les femmes et les hommes, mais que leur ordre d’importance était toutefois différent. (Voir « Ce que l’on sait sur la maladie cardiaque chez les femmes » pour en savoir davantage sur les facteurs de risque).
Les stratégies de prévention doivent être mieux ciblées pour chaque groupe. Elle a insisté sur l’importance de faire participer les femmes dans la conception de modèles d’intervention qui répondent à leurs besoins, particulièrement les femmes issues de minorités ethniques ou de groupes socioéconomiques désavantagés.
« Nous devons traiter les femmes et intervenir avant même qu’elle ne subisse un incident cardiaque, a ajouté Beth Abramson, MD, de l’Hôpital St Michael’s, à Toronto. De petits gestes peuvent faire une grande différence. »
Andrew Pipe, MD, de l’Institut de cardiologie d’Ottawa a quant à lui insisté sur la nécessité de mieux éduquer les fournisseurs de soins primaires, qui ne s’attribuent d’ailleurs pas des notes très reluisantes quant à leur capacité à soutenir leurs patientes. Il a également souligné que les femmes elles-mêmes étaient souvent mal informées quant aux facteurs de risque de la maladie cardiaque : moins de la moitié étaient en mesure de nommer le tabagisme comme un facteur de risque alors que moins du quart pouvaient nommer l’hypertension artérielle.
De nombreux participants ont signalé l’importance de bien cibler les femmes qui avaient vécu des problèmes de grossesse comme la prééclampsie et le diabète gestationnel et de commencer à surveiller leurs facteurs de risque de façon précoce : il existe un lien clair entre ces problèmes de santé et l’apparition d’une maladie cardiaque plus tard au cours de la vie de ces patientes.
« C’est génial parce que ça nous permet de repérer ces femmes très, très tôt dans leur vie, mais il nous manque quand même des données solides pour nous guider » sur la façon de procéder, a déclaré Kara Nerenberg, MD, de l’Université de Calgary. Elle a en outre ajouté qu’il fallait miser sur la sensibilisation auprès des professionnels de la santé de première ligne et sur l’éducation des patients sur l’importance d’effectuer des suivis.
Diagnostic et traitement : déceler les signes cachés
Comme on l’a détaillé dans notre autre article sur le Sommet intitulé « Ce que l’on sait sur les femmes et la maladie cardiaque », les femmes ont des symptômes fort différents de ceux des hommes. Karin Humphries, D. Sc., de l’Université de la Colombie-Britannique, explique que chez les femmes, les niveaux de troponine (un important biomarqueur de la crise cardiaque) sont considérablement plus faibles. Souvent, les analyses des niveaux de troponine n’arrivent pas à détecter qu’une femme a subi une crise cardiaque. Dre Humphries aimerait voir les professionnels de la santé avoir recours à une analyse de haute sensibilité pour mieux détecter les patientes qui ont subi une crise cardiaque. Cela permettrait d’amorcer un traitement plus rapidement et entraînerait ultimement de meilleurs résultats.
Sharon Mulvagh, MD, de la Clinique Mayo, nous a par ailleurs appris que les campagnes de sensibilisation centrées sur la reconnaissance des symptômes pour les femmes n’avaient pas été aussi efficaces qu’elles n’auraient pu l’être. Elle invite les médecins à parler de prévention avec leurs patientes et à être plus prompts à évaluer leur santé cardiaque. Elle aimerait que les médecins diagnostiquent plus diligemment les problèmes cardiaques et qu’ils s’assurent que les tests qui s’imposent soient exécutés de façon à ce que les femmes « entrent le plus rapidement possible dans le labo de cathétérisme s’il faut qu’elles soient traitées. »
Ainsi, s’il existe des différences majeures à considérer sur le plan diagnostique, il y en a tout autant à considérer sur le plan du traitement et des résultats. Selon la Dre Abramson, les femmes risquent davantage de mourir à l’hôpital des suites d’une crise cardiaque, par exemple. Est-ce en raison de facteurs biologiques? Ou est-ce le triste résultat d’idées reçues? Quoi qu’il en soit, il semble crucial que les professionnels de la santé comprennent mieux ces différences et que des options de traitement reflétant les besoins des femmes soient offertes.
Réadaptation :
Les faits sont indéniables : la réadaptation cardiaque sauve des vies, a insisté Sherry Grace, Ph. D., de l’Université York. Les patients qui participent à des programmes de réadaptation ont un taux de mortalité inférieur de 26 % et un taux de réadmission à l’hôpital inférieur de 18 %. Pourtant, les femmes sont moins souvent aiguillées vers un programme de réadaptation que les hommes, ont moins tendance à s’y inscrire et lorsqu’elles le font, elles ont moins tendance à l’achever. Les raisons sont complexes, mais il semble évident que les médecins ont un rôle à jouer pour encourager les patientes à y participer et qu’on doit faire une promotion plus efficace des programmes de réadaptation.
Les programmes réservés aux femmes augmenteraient le bien-être psychologique des participantes et abaisseraient leur niveau d’anxiété ou de dépression, selon la Dre Grace. Elle encourage les professionnels de la santé à aiguiller de façon plus intensive les patientes vers ces programmes de réadaptation et à développer plus de programmes conçus pour faire augmenter la participation des femmes.
Politiques publiques : Au-delà du modèle médical
Le Dr Pipe est allé encore plus loin, affirmant qu’il y a « deux origines à la maladie : l’une, pathologique, et l’autre, politique. »
« Si nous pouvons créer un environnement dans lequel faire les bons choix va de soi, nous pourrions augmenter l’espérance de vie de 10 à 14 ans, a-t-il ajouté. Et pour y arriver, nous devons nous retrousser les manches et poser les gestes nécessaires. »
La Dre Wenger a fait écho à ces propos, proposant d’élargir la vision des maladies cardiovasculaires chez les femmes au-delà du modèle médical et de tenir compte des croyances et comportements, des facteurs économiques et environnementaux, des aspects éthiques et politiques, des facteurs socioculturels et des politiques publiques.
Le Dr Pipe a notamment proposé l’adoption de mesures telles qu’une politique fiscale qui renforcit les politiques de saine alimentation, des politiques sur les sports et loisirs réfléchies qui encouragent l’activité physique, une planification urbaine qui vient faciliter le choix de se déplacer en marchant ou à vélo, et de nouvelles mesures pour s’attaquer à l’augmentation du tabagisme chez les jeunes femmes.
Santé cardiaque des femmes : la voie à suivre
L’objectif du Sommet canadien sur la santé cardiaque des femmes n’était pas seulement de partager des connaissances et des expériences, mais de lancer un appel national à l’action pour améliorer la santé cardiaque des femmes. Le lendemain du Sommet, un petit groupe de participants s’est rassemblé pour parler des questions prioritaires sur le plan de la recherche, des soins, de la sensibilisation, de la formation et de l’éducation.
« C’était très enthousiasmant, a déclaré Lisa McDonnell, gestionnaire de programme au Centre canadien de santé cardiaque pour les femmes de l’Institut de cardiologie d’Ottawa. On s’est penché sur les mesures concrètes et réalistes qu’on pouvait adopter. »
Les résultats de cette séance de planification seront publiés dans un rapport en mai. Ensuite, le CCSCF assurera un leadership organisationnel pour faciliter les progrès.
« C’est un projet d’envergure, ça, c’est certain, a déclaré Mme McDonnell. Les sommets annuels représenteront des occasions de faire des suivis. Quand les femmes auront adopté leurs propres modèles de prévention, de diagnostic et de traitement de la maladie du cœur, on pourra dire qu’on a réussi à faire un bon bout de chemin. »