Dans la plus vaste étude collaborative de ce type jamais menée, une équipe de chercheurs en génétique cardiovasculaire provenant du monde entier a identifié 13 nouveaux variants génétiques liés à la maladie coronarienne. Ces découvertes font plus que doubler le nombre de variants génétiques connus pour modifier le risque de maladie coronarienne. L’étude a aussi confirmé l’association de 10 variants identifiés précédemment.
Sur les 23 gènes découverts ou vérifiés, seuls 6 sont liés aux facteurs de risque « classiques », comme les taux de cholestérol sanguin. « Il s’agit d’une étude déterminante, et ses implications sont doubles », explique le Dr Robert Roberts, président-directeur général de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO). « La première, c’est qu’il existe un ensemble de mécanismes non identifiés derrière la progression de la maladie coronarienne qui deviennent des cibles potentielles pour le développement de médicaments. La seconde, c’est que nous avons maintenant un nombre intéressant de gènes à passer au crible pour déterminer les risques en situation de prévention primaire. »
« Si une personne présente une multitude de combinaisons de ces variants à risque, son risque est environ 4 fois supérieur à celui de la personne qui en possède le moins. » – Alexandre Stewart, chercheur principal, Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy, ICUO
L’étude conjointe, publiée dans Nature Genetics, s’appelle « CARDIoGRAM » (pour Coronary Artery Disease Genome-Wide Replication and Meta-Analysis). Deux autres études publiées dans le même numéro, d’une collaboration distincte appelée « Coronary Artery Disease (C4D) Genetics Consortium » et de l’Université des sciences et de la technologie Huazhong en Chine, ont permis de découvrir 6 autres variants associés à la maladie du cœur, portant à près de 30 le nombre de facteurs de risque génétiques découverts au moyen d’études d’association pangénomique.
Plus de patients, des résultats plus solides
Dirigé par l’Université de Lübeck en Allemagne, l’effort CARDIoGRAM regroupe des chercheurs de plus de 100 organismes, incluant le Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy de l’Institut de cardiologie.
Depuis le début et jusqu’à l’obtention des résultats, les collaborateurs ont travaillé à tombeau ouvert pour terminer l’étude. « Nous avions tous abouti à la même impasse dans nos recherches. Pour faire de nouvelles découvertes dans ce domaine, nous devions regrouper nos données », explique Alexandre Stewart, chercheur principal au Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy et chef du Laboratoire central de génétique de l’Institut de cardiologie.
CARDIoGRAM était une méta-analyse, un type d’étude qui analyse collectivement des données provenant de plusieurs autres études. L’analyse CARDIoGRAM comportait des données de 14 études d’association pangénomique, incluant 22 233 patients ayant reçu un diagnostic de coronaropathie et 64 762 patients témoins, tous de descendance européenne.
Les études d’association pangénomique recherchent de minuscules variations dans l’ADN, appelées « polymorphismes mononucléotidiques (SNP) » – que l’on a plus de chance d’observer chez les personnes atteintes d’une maladie que chez les gens qui en sont exempts. « La plupart de ces variations ont des effets minimes sur le risque, alors pour identifier un marqueur génétique qui augmente le risque disons de 10 p. 100, vous avez besoin de très grands échantillons », explique la Dre Ruth McPherson, médecin scientifique à l’Institut de cardiologie et directrice du Laboratoire de génomique de l’athérosclérose, qui a été le fer de lance de la participation du Centre Ruddy à CARDIoGRAM.
Pour compliquer les calculs de risque génétique de la maladie du cœur, on pense que 85 p. 100 de la population de plus de 50 ans présente une certaine forme mesurable de coronaropathie, selon M. Stewart, ce qui signifie que les différences du fardeau de morbidité chez les patients et les personnes dites « témoins » sont susceptibles d’être assez minimes.
De plus, ajoute M. Stewart, « avec des études individuelles, même si la taille de votre échantillon est assez importante, il ne s’agit encore que d’une seule expérience menée sur une population régionale. Pour que les résultats des études d’association pangénomique soient significatifs à l’échelle mondiale, il faut regrouper tout le monde, et c’est ce que nous avons fait ».
Le long parcours du laboratoire au chevet des patients
Plus de 3 ans après la découverte du variant 9p21, les scientifiques récoltent les premiers indices solides qui montrent comment les variations génétiques de cette région du génome influencent le risque de maladie du cœur.
On trouve le 9p21 dans ce qu’on appelle le « désert génétique », une région du génome complètement dépourvue de gènes connus ou de nucléotides fonctionnels. Cette constatation laisse les scientifiques perplexes, puisque le 9p21 montre une association très forte avec la maladie du cœur.
Cependant, les zones non codantes du génome, comme le 9p21, peuvent encore influencer l’expression des gènes avoisinants. En 2009, des chercheurs de l’Institut de cardiologie ont trouvé le premier indice expliquant comment le 9p21 pouvait altérer le fonctionnement cellulaire. Ils ont découvert que les changements dans le 9p21 modifient la fonction d’un gène régulateur appelé « ANRIL » qui, à son tour, agit sur l’expression d’autres gènes liés à la division cellulaire et à l’athérosclérose.
Cette année, des scientifiques de l’Université de la Californie à San Diego ont trouvé une autre pièce du casse tête; les résultats de leur recherche donnent à penser que les personnes qui présentent des variations génétiques dans le 9p21 peuvent répondre différemment à l’inflammation, la réponse naturelle du corps face à une blessure et une invasion.
Les chercheurs ont suivi une voie moléculaire complexe du gène 9p21 jusqu’à ses effets sur un type de séquence d’ADN appelée « séquence activatrice », qui peut réguler une protéine du système immunitaire appelé « interféron gamma ». Cette protéine peut influer sur d’autres gènes impliqués dans le processus inflammatoire.
On ne sait pas encore si le gène ANRIL et cette voie immune nouvellement découverte sont influencés de concert ou séparément par le 9p21. « Je pense qu’ils travaillent de concert, mais la biologie se révélera assez complexe », commente Alexandre Stewart, chercheur principal au Centre canadien de génétique cardiovasculaire Ruddy.
Une recherche publiée à la fin de 2010 par des chercheurs de l’Institut de cardiologie dans le Journal of the American College of Cardiology fournit de nouvelles données importantes sur les résultats obtenus à propos de l’influence du 9p21 sur la maladie du cœur. En utilisant les mesures de blocage artériel de 950 patients ayant montré des signes précoces de maladie du cœur et d’un autre groupe de 764 patients dont la maladie est apparue tardivement, les chercheurs ont trouvé que les patients qui possédaient 2 copies du variant 9p21 étaient plus susceptibles de présenter d’importants dépôts lipidiques dans plusieurs vaisseaux sanguins que les patients qui en possédaient une seule copie ou pas de copie du tout, et de même pour les patients possédant une seule copie du variant à risque par rapport à ceux qui n’en possédaient aucune.
« Si vous avez 2 copies du variant à risque, vous présentez un risque beaucoup plus élevé d’être atteint plus gravement », souligne M. Stewart. À l’inverse, le nombre de copies altérées de 9p21 ne montre aucun lien avec le risque de crise cardiaque. Ceci indique que les effets cellulaires du variant 9p21 entraînent la formation de dépôts de plaques coronariennes, mais ne causent pas directement la crise cardiaque – soit la rupture des plaques existantes ou la formation de caillots sanguins.
Impact collectif
Lorsque la principale analyse CARDIoGRAM a été terminée, les résultats ont été confirmés avec 56 683 autres échantillons – dont environ la moitié de patients atteints de coronaropathie et la moitié de témoins – portant à plus de 140 000 le nombre total de participants étudiés.
« Quand on dit que ce panel de variants compte pour 10 p. 100 du risque basé sur une population, il est important de se rendre compte que ça ne représente pas le risque individualisé, explique M. Stewart. Si une personne présente une multitude de combinaisons de ces variants à risque, son risque est environ 4 fois supérieur à celui de la personne qui en possède le moins. C’est l’un des plus importants éléments de notre découverte; si vous observez les extrêmes des génotypes – soit ceux qui possèdent le plus de variants à risque et ceux qui en possèdent le moins –, vous pouvez voir cette différence multipliée par 4 sur le plan personnel. Ces variants peuvent avoir des répercussions considérables sur les gens. »
Une carte plus étendue du risque génétique
Un total de 29 variants génétiques en lien avec la maladie du cœur ont maintenant été découverts. Cependant, le travail qui consiste à comprendre comment ces légères variations du code génétique influencent le risque ne fait que commencer. La plupart de ces variants ne sont associés à aucun facteur de risque connu de la maladie du cœur. Certains altèrent le risque d’autres maladies communes, mais les voies fonctionnelles demeurent pour la plupart inconnues.
La signification des chiffres et des lettres
L’emplacement d’un variant génétique dans le génome s’écrit sous la forme suivante : 21q22.11. Le premier chiffre, dans ce cas-ci 21, indique sur lequel des 23 chromosomes se trouve le variant. Tous les chromosomes ont un bras court (p) et un bras long (q). Les nombres qui suivent se rapportent aux régions du chromosome de la même façon qu’une adresse municipale désigne une maison en particulier. Le numérotage commence au centromère – le point où sont accolés les bras du chromosome – et augmente en allant vers l’extrémité du bras.
De plus, la Dre McPherson ajoute que ces constatations désignent des voies moléculaires interreliées plus vastes qui peuvent favoriser le développement de la maladie du cœur. D’autres variations génétiques en bordure de ces voies moléculaires, incluant des variants à haut risque, plus rares, peuvent aussi être des cibles pour de futures recherches.
Il est intéressant de noter que 5 de ces gènes nouvellement identifiés et 3 de ceux qui ont été précédemment confirmés étaient aussi fortement associés au risque d’autres maladies aussi variées que la maladie cœliaque, le diabète et le cancer du poumon. Les auteurs expliquent que d’autres études seront nécessaires pour comprendre si ces associations révèlent un lien commun dans l’origine des maladies ou si plusieurs gènes d’une région donnée de l’ADN contribuent indépendamment à différentes maladies.
Des études préliminaires ont montré que plusieurs des variants génétiques identifiés précédemment chez des patients de race blanche avaient également une influence sur le risque chez les populations asiatique et sud asiatique, bien que ces résultats préalables doivent encore être confirmés par de plus vastes études. D’autres études se penchent sur les facteurs de risque génétiques des populations de descendance africaine, chez lesquelles on a démontré la présence d’un plus grand nombre de variations génétiques entre les individus, rendant encore plus complexes les études d’association pangénomique.
Comme pour la population étudiée par CARDIoGRAM, « il y a plus à découvrir », commente M. Stewart. Les chercheurs visent une collaboration encore plus étendue avec les chercheurs de l’étude C4D, intégrant des patients de descendance européenne et asiatique.
Mais la situation générale demeure la même, conclut le Dr Roberts. « Maintenant, notre travail est de comprendre comment ces gènes fonctionnent, de développer un nouveau groupe de médicaments pour les cibler et d’identifier les gens qui en profiteront le plus pour réduire leur risque de crise cardiaque et d’autres problèmes cardiaques. »