Une récente conférence organisée par l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO), et visant à souligner le départ à la retraite de deux chercheurs, a stimulé la motivation de la communauté scientifique et animé les esprits. En fait, la Conférence d’Ottawa sur la recherche en cardiologie , qui a mis en vedette certains des chercheurs en cardiologie les plus renommés à l’échelle internationale, a en outre offert aux nouveaux venus une perspective incomparable dans le domaine.
Quelque 100 personnes ont participé à cet événement tenu à la mi-mai à l’Hôtel Lord Elgin, à Ottawa, pour honorer la contribution à vie de deux scientifiques, Yves Marcel et Ross Milne , tous deux entrés au service de l’ICUO en 1992. Malgré un départ à la retraite prévu d’ici la fin de l’année, les chercheurs ne rompront pas pour autant les liens établis avec leurs collègues, et ce, pour une bonne raison : les deux hommes sont associés de façon permanente à plusieurs activités de recherche qu’ils ont mises sur pied, comme en ont fait foi les diverses présentations.
La conférence, intitulée « La maladie cardiovasculaire : des voies émergentes », a donné lieu à 10 présentations qui ont fait le point sur les dernières avancées et découvertes dans ce domaine, notamment les variantes génétiques, les micro-ARN et les divers mécanismes cellulaires qui interviennent dans le métabolisme du cholestérol et l’évolution de la maladie. Des prix ont également été remis aux deux scientifiques émérites, Yves Marcel et Ross Milne, lors d’une cérémonie après laquelle leurs collègues ont salué leur départ par une distribution de cadeaux et des discussions animées, rarement reproduites dans les pages de publications savantes.
Il est facile d’imaginer que ces revues représentent la forme d’expression scientifique la plus aboutie, mais de telles rencontres entre spécialistes sont au cœur de la vitalité en science. Elles sont le lieu des débats les plus fructueux, là où les personnalités s’affrontent, les partenariats naissent et les idées novatrices émergent, ou alors tombent dans l’oubli.
« Qu’ils soient positifs ou négatifs, les résultats sont toujours intéressants, insiste le Dr Edward Fisher de l’École de médecine de l’Université de New York. Évidemment, nous espérons tous pouvoir faire d’importantes déclarations sur les travaux que nous réalisons. Mais, nous sommes accros aux résultats et le fait de pouvoir en discuter avec des spécialistes d’autres secteurs est capital. »
La présentation du Dr Fisher portait sur ses travaux sur les lipoprotéines de très basse densité (VLDL pour very low density lipoproteins), lesquelles se dégradent en lipoprotéines de basse densité (LDL). En acheminant le cholestérol vers les parois internes des vaisseaux sanguins, les LDL déclenchent un processus qui favorise la formation de plaques à l’origine de l’athérosclérose. Pour le Dr Fisher, il est essentiel de comprendre ce processus de dégradation, car celui-ci est associé à la présence d’une autre molécule, l’apolipoprotéine B100, qui joue un rôle crucial dans la sécrétion des VLDL par le foie.
Il ajoute que le partage de ce type de renseignements lui procure une grande satisfaction, parce que les échanges entre les chercheurs de divers horizons qui se réunissent lors de tels événements et dont les observations sont comparables repoussent les frontières de la recherche en cardiologie. Sans compter que ces débats favorisent des périodes de questions-réponses très animées, en particulier lorsque les conférenciers sont assez audacieux pour présenter des résultats ou des observations qui n’ont pas encore fait l’objet de publication et qui vont ne vont pas forcément dans la direction attendue.
Pour Marlys Koschinsky, doyenne de la Faculté des sciences de l’Université de Windsor, qui a animé les séances tenues en après-midi, « ces rencontres de groupes sont hautement interactives. Elles forcent les participants à raffiner constamment leurs observations. Les meilleurs scientifiques ont un esprit ouvert et n’ont pas peur de se confronter à des points de vue divergents. »
À titre d’exemple, les discussions au sujet des travaux de Ross Milne sur le diabète et l’athérosclérose montrent l’évolution des concepts fondamentaux en santé cardiovasculaire. Le lien entre ces deux maladies a toujours été évident, et on est parti du principe que l’action des protéines directement liées à la santé des vaisseaux sanguins était altérée par les modifications biochimiques associées au diabète.
Ross Milne a réussi à clarifier cette hypothèse dans sa présentation en mettant au jour les modifications les plus importantes, lesquelles surviennent lorsque le diabète entraîne une augmentation du taux de composés dicarbonylés réactifs. Il a exposé dans les grandes lignes la façon dont ces composés entraînent l’accumulation de cellules macrophages et de lipides sur les parois artérielles en modifiant les LDL.
Dans sa présentation, Yves Marcel a décrit des modifications similaires dans d’autres affections. Il s’est intéressé à un processus, appelé « autophagie », selon lequel les cellules trient à l’échelle individuelle les substances qu’elles excrètent ou qu’elles recyclent. Bien que les protéines en cause dans ce processus soient connues depuis une trentaine d’années, nous commençons seulement à établir des liens entre leurs fonctions et des affections comme l’obésité ou l’athérosclérose.
Mireille Ouimet, détentrice d’une bourse de niveau postdoctoral et chercheuse à l’École de médecine de l’Université de New York, s’est familiarisée avec le processus d’autophagie lorsqu’elle travaillait aux côtés d’Yves Marcel à l’ICUO. Outre l’hommage à son mentor, sa présence était motivée par la présentation de ses propres travaux de recherche et par l’occasion de rencontrer plusieurs sommités de la recherche en cardiologie.
« Nous n’avons pas tellement d’occasions d’interagir avec les grosses pointures de notre domaine, fait-elle remarquer en pensant particulièrement à l’importance pour les étudiants et les jeunes chercheurs de profiter de ce genre d’occasions. Et je ne pense pas seulement au contenu des discussions. Je pense surtout aux liens qui s’établissent, aux collaborations qui se dessinent et aux réseaux qui se créent. »
Les chercheurs chevronnés partagent ce sentiment. Robert Raffai, formé au laboratoire dirigé par Ross Milne et aujourd’hui professeur de chirurgie à l’Université de la Californie, à San Francisco, a constaté avec plaisir la présence de jeunes chercheurs disséminés un peu partout dans la salle. Il a remarqué que le contexte entourant les événements organisés pour célébrer le départ à la retraite des universitaires et honorer leur contribution ne prévoit pas souvent la présence des jeunes chercheurs qui ont pourtant besoin de faire le point sur leur propre carrière.
M. Raffai a expliqué la façon dont ses études universitaires et surtout celles de niveau doctoral ont suscité son intérêt pour l’apolipo protéine E et clairement orienté ses travaux ultérieurs à l’aide de modèles murins pour expliquer son rôle sur la santé vasculaire. L’apolipo protéine E a depuis été identifiée comme l’un des principaux facteurs qui interviennent dans la réponse immunitaire à l’inflammation des vaisseaux sanguins; une voie qui pourrait permettre de maîtriser l’athérosclérose.
M. Raffai a ajouté que la réunion d’un groupe de cette importance et aussi hétérogène à cette conférence devrait inspirer quiconque envisage d’organiser un événement de ce type.
« Il faut essayer d’inviter davantage de stagiaires qui profitent des résultats des travaux de chercheurs expérimentés, affir-me-t-il, car cela élargit leur perspective. »
Ce conseil ravit le Dr Peter Liu , directeur scientifique de l’ICUO, qui a eu l’idée de rendre hommage aux deux chercheurs à l’occasion de leur départ.
« Ils se passionnent pour la science. Il m’a paru naturel de réunir les meilleurs scientifiques de la planète qui se consacrent eu aussi à cette passion commune, explique-t-il. Nous voulons marcher dans leurs pas. Le fait qu’ils prennent leur retraite n’empêche en rien la poursuite de leur exploration, car la relève est là pour prendre la suite. »