
Les changements climatiques sont l’un des défis les plus pressants du 21e siècle. Au-delà de la hausse des températures et des phénomènes météorologiques extrêmes, ils ont aussi des effets néfastes sur la santé humaine.
Alors que l'ampleur de ces effets se précise, l'urgence de s’y attaquer est plus grande que jamais. Les populations vulnérables, en particulier, sont confrontées à des inégalités et des risques accrus à cause de la marginalisation, de la discrimination, du manque de ressources et d’autres facteurs dont elles sont victimes.
Le risque de maladies cardiaques est également en hausse, exacerbé par les changements environnementaux. En effet, le lien entre les problèmes cardiovasculaires et la mauvaise qualité de l'air, la chaleur extrême et la fréquence accrue des catastrophes naturelles est de plus en plus reconnu.
La fumée et la pollution de l’air — on se souviendra de l’atmosphère enfumée créée par les feux de forêt dans le nord du Québec et en Ontario en 2023 et, récemment, des feux qui ont ravagé Los Angeles) — ont des effets dommageables sur la santé.
En effet, les polluants atmosphériques sont associés à une panoplie de problèmes cardiovasculaires : inflammation, hypertension, risque accru de crise cardiaque et d’AVC, troubles du rythme cardiaque, aggravation de maladies cardiaques préexistantes, etc.
La hausse des températures et les changements environnementaux exposent aussi les humains à de nouveaux virus et bactéries. S'il y a une leçon à tirer de la pandémie de COVID-19 en matière de santé cardiaque, c'est que ces infections peuvent causer des ravages dans le cœur et le système vasculaire.
Santé cardiaque et chaleur extrême

Jennifer Reed, Ph.D., est scientifique et directrice de la réadaptation cardiaque à l’Institut de cardiologie d’Ottawa. La chaleur extrême, dit-elle, est une source de stress pour le cœur, qui doit travailler plus fort pour pomper le sang vers la surface de la peau afin de refroidir le corps.
« Ce stress supplémentaire peut même causer la mort, en particulier si vous souffrez déjà d'une maladie cardiovasculaire ou si vous prenez des médicaments pour le cœur », dit-elle.

Katey Rayner, Ph.D., directrice scientifique et vice-présidente à la recherche à l’Institut de cardiologie, se demande comment protéger les cœurs malades contre ces nouveaux risques environnementaux, surtout dans un contexte de prévention et de réadaptation.
« Pendant les canicules, on dit souvent aux gens d’éviter de faire de l’exercice à l'extérieur, note-t-elle. Mais si les canicules deviennent plus fréquentes et durent des semaines, que leur dira-t-on? Quelle est la meilleure approche pour la santé cardiaque à long terme? »
Bien qu’il soit possible de gérer les dommages à court terme sur la santé cardiaque grâce à des médicaments, les effets à long terme, cumulatifs et interdépendants de ces changements environnementaux restent mal compris. Ce sont ces effets — ceux qui aggravent le risque cardiovasculaire — que des scientifiques comme Katey Rayner et Jennifer Reed commencent tout juste à explorer.
Une vision globale
En tant que responsable de la recherche à l’Institut de cardiologie d’Ottawa, Katey Rayner a réuni un large éventail d’équipes de recherche et de partenaires de santé d’un peu partout au Canada au sein de PANTHR, un projet de recherche unique portant sur les nouveaux pathogènes et facteurs environnementaux qui menacent la santé cardiovasculaire.
Ce faisant, la chercheuse prépare l’Institut de cardiologie d’Ottawa à devenir un chef de file mondial de l’étude intégrée des effets des facteurs environnementaux (ex. pollution de l'air, hausse des températures, exposition à de nouveaux agents pathogènes) sur le risque cardiovasculaire des individus et des populations.
« Nous voulons comprendre comment protéger nos patients en étudiant l’influence des stresseurs environnementaux sur les maladies cardiaques, précise-t-elle. Cette recherche a le potentiel de combler une lacune importante dans nos connaissances et de conduire à des innovations dans les soins. »
Outre les facteurs environnementaux, l'équipe de Katey Rayner se penchera aussi sur le rôle des infections comme la pneumonie, la COVID-19 et la grippe dans la santé cardiovasculaire. Il est connu que ces infections augmentent le risque de maladie du cœur. Pourtant, les médecins ne posent généralement pas de questions à ce sujet lorsqu'ils évaluent la santé cardiaque.
L’objectif de PANTHR, précise Katey Rayner, est de comprendre les effets combinés des changements climatiques, des facteurs sociaux et des maladies cardiovasculaires sur la santé des gens et des communautés.
« Si le risque cardiovasculaire est bien compris, les gens sauront mieux comment le réduire, les prestataires de soins de santé pourront rapidement proposer des traitements ciblés et les décideurs pourront choisir les meilleures stratégies pour améliorer la santé et le bien-être dans les communautés les plus vulnérables », explique-t-elle.
Pour ce faire, les scientifiques de PANTHR miseront entre autres sur l’analyse des eaux usées.
En effet, des méthodes révolutionnaires ont été mises au point à Ottawa pour surveiller la COVID-19 et la grippe par l’analyse des eaux usées. Ces approches ont depuis été adoptées dans le monde entier, mais n’ont encore jamais été utilisées pour étudier les risques cardiovasculaires à long terme associés aux infections ou les effets cumulatifs des infections au fil du temps.
En reliant ensemble ces activités de recherche de pointe et bien d'autres à travers le Canada, les scientifiques espèrent mieux comprendre qui sont les personnes les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques sur la santé cardiaque ainsi que les meilleures stratégies de prévention et de traitement.
Exploiter les données pour personnaliser les soins
Dans la vision d’avenir de Katey Rayner, il sera possible d’utiliser les données sur le climat pour personnaliser les soins et établir des plans de prévention et de traitement sur mesure dans le but d’optimiser la santé de chaque patient.
Par exemple, le diagnostic d’une personne dont le taux de cholestérol est modéré sans tout à fait justifier un traitement pourrait changer si des facteurs environnementaux comme la pollution atmosphérique ou des antécédents d’infection tirent le risque cardiovasculaire à la hausse.
Pour concrétiser la vision passionnante de PANTHR, qui consiste à comprendre comment tous ces facteurs s'entrecroisent et s'influencent mutuellement, il faudra développer un modèle de simulation complet pour évaluer les risques et les interventions cardiovasculaires. Les données intégrées tirées du modèle permettront à l’équipe d’identifier les changements biologiques correspondants et de concevoir de nouveaux traitements pour s’y attaquer directement.
Le modèle permettra également de déterminer quelles communautés sont les plus vulnérables aux effets combinés des changements climatiques, des maladies infectieuses, des facteurs socio-économiques et des maladies cardiaques. L'équipe travaille d’ailleurs avec des partenaires communautaires qui pourront se doter de stratégies pour réduire le risque cardiovasculaire de leur communauté en fonction de tous ces facteurs.
Toutefois, l’intégration de ces variables complexes ne sera pas facile. Pour surmonter les défis à venir, il faudra des technologies de pointe, un financement durable et un engagement communautaire fort.
Des recherches tournées vers l’avenir
« Pour de nombreux patients cardiaques, la pollution de l'air, la chaleur extrême et les infections dangereuses ne sont pas des problèmes abstraits, mais bien des défis auxquels ils sont confrontés chaque jour, conclut Jennifer Reed. Pour leur offrir des soins personnalisés d’excellente qualité, il est crucial de comprendre comment ces changements environnementaux influencent leur santé. »
Katey Rayner et son équipe estiment que l'Institut de cardiologie d'Ottawa est bien placé pour y parvenir.
« Il est grand temps d’investir dans cette recherche cruciale, car plus nous attendons, plus le défi sera grand. »